Sarah
un ventre sacré sans autre
destin que la soumission.
Seulement Abram ignorait ce qui faisait
d’elle une servante de la Dame de la Guerre : un ventre sec. Et cette
vérité énoncée par Sililli : même un mar.Tu voudrait une épouse au
ventre fécond !
Si les dieux avaient le pouvoir de punir
les humains, la punition de Saraï s’accomplissait depuis longtemps.
Dans la plus grande obscurité, sans pouvoir
dormir, comme si elle allait d’un instant à l’autre basculer pour la seconde
fois de sa vie dans la fosse des enfers, Saraï demeurait les yeux grands
ouverts.
C’est ainsi que la troisième nuit de ce
supplice, elle entendit un frottement léger. Puis d’autres. Une faible lumière
passa devant sa porte, s’éloigna dans le couloir.
Sans un bruit, prenant garde à ne pas
réveiller Sililli, Saraï s’enveloppa d’une toge laineuse et se glissa dans le
couloir, juste assez pour voir la lumière disparaître sur la droite en direction
de la grande cour.
Elle connaissait assez cette partie du giparù pour se diriger dans le noir. Les mains en avant, palpant les briques des
cloisons, il ne lui fallut qu’un instant pour parvenir sous les colonnades de
la grande cour. Là, des torches éclairaient en permanence l’entrée des cuisines
et la porte menant à l’Esplanade Sublime. Au-dessus du temple, comme chaque
nuit, les perles des feux de naphte illuminaient les escaliers et les terrasses
de la ziggurat.
*
* *
D’abord elle ne vit ni n’entendit rien.
Puis deux ombres parurent bouger dans
l’angle de la cour opposé aux cuisines. Saraï songea à appeler des gardes. Les Gutis pouvaient-ils être déjà si près d’Ur qu’ils envoyaient leurs espions jusque
dans le temple ?
L’une des ombres se dressa. Elle hésita.
S’il s’agissait des barbares, ils auraient le temps de la massacrer avant
l’arrivée des gardes. La peur lui piqua les reins.
Les deux ombres hésitaient elles aussi,
prêtes à s’enfuir. Saraï entendit un chuchotement. C’était son nom que l’on prononçait :
Saraï !
Elle s’avança avec précaution. L’ombre
agita la main. Un nouveau chuchotement. Son cœur battit plus fort : elle
reconnaissait la voix.
— Abram ? Abram, c’est toi ?
L’une des deux ombres dévoila une lanterne
de poterie qu’il tenait masquée derrière lui et l’éleva jusqu’au visage de son
compagnon.
— Abram, que fais-tu ici ?
souffla Saraï, stupéfaite.
Il lui saisit les mains. À ce simple
contact, un frisson pareil à la fièvre parcourut la nuque de Saraï.
— Voici mon frère Harân, dit-il. Je suis
venu te chercher, si tu le veux.
— Me chercher ?
— Les Gutis n’arrivent pas là
où les Puissants d’Ur les attendent. Ils sont plus rusés que cela. Ils ont
embarqué sur les bateaux des Huhnurs, avec qui ils ont fait alliance. Demain,
ils seront sur le fleuve et débarqueront dans la ville basse.
— Puissant Ea !
L’exclamation tira un sourire à Harân. Il
était un peu moins grand qu’Abram, plus rond de visage et de corps, avec des
yeux rieurs.
— Tu as raison de l’invoquer, Sainte
Servante. Les Puissants d’Ur vont avoir besoin de son aide.
Abram fronça le sourcil pour faire taire
son frère. Il serra plus fort les mains de Saraï et, parlant bas et vite, lui
expliqua que leur père et toute la tribu avaient démonté les tentes. Afin de
mettre les troupeaux hors de portée des Gutis, ils avaient quitté les
parages de la ville depuis deux jours déjà, en direction du nord.
— Harân a accepté de rebrousser chemin
avec moi…
— Parce que Abram m’a assuré savoir
entrer dans ton temple et s’y diriger, murmura Harân en élargissant son
sourire. Y entrer, nous l’avons pu. Mais nous diriger dans ce labyrinthe, c’est
autre chose ! Si tu n’étais venue à nous…
— Harân ! protesta Abram. Nous
n’avons pas le temps d’écouter tes moqueries. Veux-tu me suivre, Saraï ?
— Te suivre ? Mais…
— Veux-tu devenir mon épouse ?
Vivre avec moi sous la tente des mar.Tu. Abandonner le luxe du temple,
tes dieux et ton pouvoir ?
— Et affronter la mauvaise humeur de
notre père, ne put s’empêcher d’ajouter Harân. L’union de son aîné avec une
fille de Puissant l’effraie.
Abram eut un hochement de tête agacé.
— Harân dit la vérité. Au début, tu ne
seras peut-être pas la bienvenue pour tous.
Harân esquissa une courbette :
— Mais quand ils découvriront ta
beauté, ils
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