Sarah
qui allait le faire dormir, il désigna Saraï, en retrait.
Dans un sourire pâle, il annonça :
— Voici l’épouse de mon frère Abram et
réjouissez-vous de son obstination. Ce n’est pas qu’elle soit née parmi les
Puissants d’Ur qui nous honore, nous, les bergers-sans-ville, mais sa beauté et
son courage.
Croyez-moi, c’est une promesse d’avenir qui
nous vient avec elle.
Saraï baissa la tête sous le compliment. Le
regard d’Abram s’embruma de reconnaissance envers son frère.
Elle en comprit encore mieux le poids
lorsque Abram la conduisit devant Terah. De près, il avait l’air plus vieux
qu’elle ne l’avait imaginé dans la cour d’Ichbi Sum-Usur. Ses yeux étaient
clairs et froids. Ses lèvres fines accentuaient la dureté de son expression.
Néanmoins, malgré les rides, la chevelure et la barbe blanchissantes, il se
dégageait de lui une puissance devant laquelle même Abram ployait la nuque.
Il observa Saraï sans tendresse. De toute
évidence, la beauté et le courage de la femme choisie par son fils ne le
charmaient guère. Après un silence qu’il fit durer plus que nécessaire, il déclara :
— Mon fils a décidé que ce serait toi.
Il n’est pas d’usage qu’une fille de Puissant mélange son sang au nôtre, mais
je respecterai la volonté d’Abram. Chez nous, chacun est libre de ses choix
comme il est responsable du poids de ses erreurs. Sois la bienvenue.
Sans plus d’effort d’amabilité il entra
sous sa tente. Saraï se mordit les lèvres. Abram dit tout bas :
— N’en veux pas à mon père. Il n’aime
que ce qu’il connaît. Il changera d’avis en te connaissant mieux.
Abram se trompait. Ce n’était pas la
mauvaise humeur de Terah qui soudain glaçait le bonheur de Saraï, mais la
pensée de ce sang que le vieux mar.Tu craignait de voir mélangé au sien.
Alors qu’en vérité son ventre ne contenait pas la moindre goutte de ce pouvoir
de vie.
Maintenant moins que jamais, elle se
sentait capable de dévoiler son secret. Peut-être, peut-être l’amour d’Abram
posséderait-il le pouvoir d’effacer la sécheresse déposée en elle ?
Abram la conduisit sous la tente des
femmes. Les enfants accoururent, piaillant et riant. Les jeunes femmes
scrutèrent Saraï sans cacher leur curiosité et, pour certaines, une évidente
jalousie. Mais les plus âgées la fêtèrent sans embarras. L’une d’elles,
minuscule, la peau fine et lisse malgré son âge, entraîna Saraï sous la grande
tente des mères. Les autres suivirent.
Pour la première fois Saraï vit la lumière
chaude que diffusaient les toiles des tentes. Elle découvrit l’odeur suave des
peaux et des tapis qui en recouvraient le sol, les coffres en bois peint, les
bijoux qui pendaient aux mâts.
La vieille femme ouvrit un coffre. Elle y
prit un tissu de lin fin, aux mailles ajourées, brodé de laines de couleur,
incrusté d’éclats d’argent. S’approchant de Saraï, elle tendit le tissu en
souriant.
— Bienvenue, Saraï, future d’Abram.
Mon nom est Tsilla. La mère d’Abram est morte depuis longtemps et, quand il l’a
fallu, je l’ai remplacée. Chez nous, l’époux et l’épouse s’unissent avec plus
de simplicité que là d’où tu viens. On mange de l’agneau devant la tente de
l’époux, on boit de la bière et du vin en écoutant la flûte et parfois quelques
chansons de bon augure. L’épouse porte une simple robe et ce grand châle qui la
recouvre entièrement. Il est vieux et précieux : il a recouvert plus de
cent femmes. Il a entendu leurs soupirs et leurs craintes, leur bonheur ou leur
déception. Nous, les femmes, nous l’appelons le châle de la vie.
Elle se tut. Tout autour, les femmes
observaient Saraï avec une sévérité amicale qui lui rappela les visages des
jeunes servantes quand elles la préparaient à affronter le taureau. Elle
sourit, les yeux brillants de bonheur. Tsilla hocha la tête et sourit en
retour.
— C’est bien, approuva-t-elle. Il faut
porter le châle de la vie avec ces yeux-là ! Lorsque tu seras sous la
tente, seule avec ton époux, avant qu’il ne soulève le châle, tu n’auras qu’une
chose à faire. Tu devras tourner autour de lui, à la distance d’un bras, trois
fois dans un sens, puis trois fois dans l’autre. Pour le reste, Abram
t’enseignera…
Un gloussement fusa, le rire enfla sous la
tente, roula d’une bouche à l’autre, jusqu’à celle de Saraï.
*
* *
Il en fut ainsi que l’avait dit
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