Sarah
bélier pour rassembler les
troupeaux. C’est Abram, ensuite, qui m’a dit : « Le Dieu unique m’a
parlé. Il m’a donné son nom. Il s’appelle Yhwh. »
— Yhwh ! lança Loth en riant.
Yhwh ! Facile, on ne risque pas de l’oublier. Et c’est vrai, on dirait un
bruit de trompe : Yhwh !
— Un dieu qu’on ne voit même pas, qui
ne parle et ne donne son nom qu’à un seul homme ! Et encore, quand ça lui
chante, bougonna Sililli. À quoi peut-il être bon, un dieu pareil, on se le
demande !
— À nous trouver un beau pays, riche
et plein d’eau ! répliqua Loth, péremptoire. Tu n’écoutes pas ce que Saraï
dit. Le dieu d’Abram n’a pas seulement donné son nom : il a dit que cette
terre était désormais la nôtre. La plus belle terre que nous ayons vue depuis
que nous sommes partis d’Harran. Mais toi, Sililli, tu es trop vieille pour
apprécier les champs d’herbe bien grasse. Plus personne ne veut s’y rouler avec
toi…
— Oh ! là, gamin ! gronda
Sililli en balançant un vigoureux coup de pilon de bois sur les fesses de Loth.
Ferme un peu ton grand clapet. Je suis peut-être trop vieille pour ce à quoi tu
penses, mais toi, tu es encore bien trop morveux pour y songer aussi !
— C’est bien ce que je disais, rigola
Loth sans s’émouvoir. Trop vieille pour voir la beauté d’un pays et trop
vieille pour voir celle d’un garçon qui devient un vrai homme !
— Écoutez-moi ça ! s’esclaffa
Sililli, ébahie par l’audace de Loth.
Loth avait pris la pose devant les deux
femmes, les mains sur ses hanches souples, un mince sourire provocateur des
yeux aux lèvres, jouant à l’homme.
Cependant, masquant leur surprise, Saraï et
Sililli durent convenir qu’il avait raison. Ces dernières lunes, elles
n’avaient porté qu’un regard machinal sur Loth, continuant de ne voir en lui
qu’un grand garçon plein d’énergie, d’orgueil et de sensibilité. Cependant, en
peu de temps, comme il arrivait souvent chez les adolescents, l’homme avait
poussé en lui de partout. Il avait grandi au point de les dépasser d’une tête.
Ses épaules s’élargissaient, souples et musclées sous la tunique, un duvet
soyeux ombrait ses joues et sa bouche, et la lumière qui dansait dans son
regard n’était plus celle de l’innocence. C’est ainsi qu’il sourit à Saraï, lui
faisant monter le rouge aux joues, en murmurant de sa voix un peu rauque :
— De voir tous les jours la beauté de
ma tante, cela vous rend impatient de devenir un homme.
Sililli poussa un glapissement, fit
l’offusquée et chassa Loth, qui alla s’asseoir un peu plus loin en maugréant.
Ce ne fut que lorsqu’il leur tourna le dos que Saraï et Sililli échangèrent un
regard amusé.
— Il n’est pas le seul à penser ainsi,
reconnut Sililli à voix basse. Ta beauté commence à échauffer tous ces jeunes
béliers désœuvrés. Il serait temps qu’Abram décide une halte véritable. Qu’il
construise notre ville. Ces jeunes boucs auraient enfin de quoi dépenser leur
énergie.
Saraï demeura silencieuse un instant. Elle
jeta du grain dans le mortier, le regarda éclater sous les coups de pilon de
Sililli.
— Peut-être sommes-nous vraiment
arrivés au terme du voyage ? Abram assure que son dieu nous donne cette
terre. Pour nous tous aujourd’hui, nous tous demain, avec ceux qui ne sont pas
encore nés.
Sililli hocha la tête, sceptique. Mais
comme Saraï se taisait à nouveau, elle releva le front. Il n’était pas besoin
de mots pour qu’elles songent à la même chose.
— Qui sait ? fit Sililli avec
tendresse. Peut-être qu’il dit vrai.
— Abram tremblait de joie quand il est
revenu dans la tente. Il s’est jeté sur moi pour me couvrir de baisers. Il
m’embrassait le ventre et répétait les paroles de son dieu : « Je
donne ce pays à ta semence ! » Comme je lui disais que le pays de mes
collines et de mes vallons n’était guère opulent malgré l’ardeur de ses labours,
il s’est presque fâché. « Tu ne comprends pas ! Si Yhwh parle ainsi,
cela signifie qu’il pense à toi, mon épouse, celle qui reçoit ma semence !
Sois patiente, le Dieu unique te montrera bientôt Sa puissance. »
Sililli agita ses doigts blancs de farine.
— Mmm. Qui sait ? répéta-t-elle.
— Mais lui, Abram, patient, il ne
l’est guère, s’amusa Saraï. Je peux te le dire, il n’est pas de nuit ni de
matin sans qu’il s’assure que son dieu pourra faire
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