Sarah
croissant de lune. Il était aisé pour ceux qui les guettaient de
s’assurer que nul ne dissimulait d’armes.
Ils demeurèrent ainsi un assez long moment,
sous le soleil.
Puis soudain la porte grinça, gronda,
s’entrouvrit et béat en entier.
Des soldats apparurent. Bouclier et lance
aux poing, vêtus de tuniques aux couleurs violentes, en deux colonnes bien
alignées, ils avancèrent d’un pas ferme en direction d’Abram et des siens.
Quelques-uns ne purent retenir un mouvement de crainte, reculant déjà. Mais
comme Abram ne bougeait pas d’un pouce, ils reprirent leur place.
Parvenus à une vingtaine de pas, les
guerriers s’immobilisèrent. Chacun nota qu’ils ne pointaient pas leur lance sur
les poitrines mais vers le ciel, reposant la hampe sur le sol. Et aussi que
leurs visages étaient semblables aux leurs. Leurs sourcils, barbe et cheveux
étaient d’un noir profond. Ils ne portaient ni perruque ni casque, comme les
guerriers d’Akkad et de Sumer, mais d’étranges bonnets de couleurs. Le khôl
faisait briller leurs prunelles aussi sombres que leur peau.
Une trompe sonna à la porte de la ville. Un
son doux et grave.
Précédant une foule bigarrée et nerveuse,
une dizaine d’hommes apparurent. Ils étaient vêtus de longues capes d’un rouge
et d’un bleu intenses. Un large turban jaune enveloppait leur tête. De jeunes
garçons marchaient à leur côté, brandissant des palmes pour leur procurer de
l’ombre. C’étaient des hommes âgés, le ventre rond, la barbe assez longue pour
atteindre leur poitrine couverte de colliers d’argent et de jaspe. Ils
souriaient. Un sourire qui surprit chacun. Un sourire qu’ils reconnurent tous,
et Saraï la première : c’était le sourire qui, depuis le matin, ne
quittait pas les lèvres de son époux.
Les sages de la ville s’immobilisèrent.
Abram, abandonnant les mains de Saraï et de Loth, saisit dans le chariot le
plus proche deux gros pains. Il s’inclina devant le plus âgé, qui semblait le
plus noble et était le plus richement vêtu. Il lui offrit les pains en même
temps que le respect de son salut.
— Mon nom est Abram. Je viens en paix
avec mon peuple. On nous appelle les Hébreux, les hommes qui passent, car nous
arrivons de loin. Voici les pains que nous avons cuits hier et aujourd’hui. Je
suis heureux de les offrir aux habitants de cette ville, bien qu’elle soit
riche et sans doute capable d’en cuire cent fois plus.
Le vieil homme prit les pains entre ses
doigts bagués et les confia à ceux qui l’entouraient. Derrière eux, les soldats
ne parvenaient plus à contenir la foule des habitants de la ville. Ceux-ci se
pressaient autour des nouveaux venus, curieux et excités. Des enfants criaient
et gesticulaient pour attirer l’attention des enfants voyageurs.
Le vieil homme à qui s’était adressé Abram
leva la main au-dessus de son épaule. La trompe résonna, le silence revint.
— Mon nom est Melchisédech. Je suis le
roi de cette ville qui s’appelle Salem, de ce peuple et de ces terres. Depuis
le fleuve de l’est jusqu’au rivage de la mer à l’ouest, d’autres peuples habitent
ce pays que nous appelons Canaan.
Il parlait lentement et posément, dans la
langue amorrite avec un accent que Saraï n’avait encore jamais entendu.
— Moi, Melchisédech, ainsi que Salem
et que Canaan, nous t’accueillons, toi, Abram, et ceux qui vont avec toi. Nous
vous ouvrons nos bras. Au nom du Dieu Très-Haut, Créateur du Ciel et de la
Terre, je bénis ta venue.
Un lourd silence s’installa.
Abram se retourna vers Saraï. Son visage
n’était plus que jubilation. À voix forte, pour être entendu de tous, Abram
s’exclama :
— Avez-vous entendu ? Le roi de
Salem, le seigneur Melchisédech, nous bénit au nom du Dieu unique. Nous sommes
accueillis ici par des frères.
La beauté de Saraï
Le bonheur dura quelque dix années.
Dans une fête où se mêlait la nourriture
des habitants de Salem à celle des nouveaux venus, on s’enivra de bière et de
contes, on s’admira et on se découvrit. Il fut décidé qu’Abram s’acquitterait
d’une dîme pour chacune des bêtes de son troupeau qui paîtrait sur les terres
de Canaan. Il fut également décidé qu’il ne construirait pas de ville afin de
ne pas rivaliser avec la belle cité de Salem et que, comme par le passé et
comme l’avaient fait leurs pères avant eux, lui et les siens monteraient et
démonteraient leurs tentes au gré des
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