Sarah
déserts : au nord, à l’est ou au sud. À
l’ouest, il y a la mer !
— Au sud, après le désert, il y a la
terre de Pharaon. Abram la dévisagea, stupéfait.
— Tu as entendu comme moi ce qu’on dit
de Pharaon, sa cruauté, son goût pour réduire en esclavage les humains et tirer
d’eux le sang et la sueur.
— Oui. Mais j’ai entendu dire aussi
combien sa terre est opulente, toujours abreuvée par un fleuve énorme, et
combien ses villes sont riches.
— Pharaon croit être un dieu !
— En quoi cela peut-il inquiéter celui
dont le nom a été prononcé par le Dieu Très-Haut ?
L’œil aigu, Abram considéra Saraï. Se
moquait-elle de lui ?
— Abram, poursuivit-elle avec plus de
douceur, ne comprends-tu pas qu’il te faut décider sans attendre d’aide ?
Rien, désormais, n’est pire que de demeurer sur la terre de Canaan. Nous y
mourrons. Et avec nous mourront ceux de Salem qui nous y ont accueillis. Que
risquons-nous à aller demander la protection de Pharaon ? Quelle mort
peut-il ajouter à celle qui nous attend ?
Abram ne répliqua pas. Saraï reprit :
— Ton dieu se tait et tu es comme un
enfant qui se fâche contre l’indifférence de son père. Moi, Saraï, qui ai
abandonné sans retour la protection d’Inanna et d’Ea pour la tienne, je veux
entendre ta parole.
*
* *
Le soir même, Abram annonça à Melchisédech
que dès le lendemain il prendrait le chemin du pays de Pharaon. Plein
d’émotion, Melchisédech l’embrassa et lui promit que la terre de Canaan serait
toujours la sienne. Lorsque les temps de sécheresse seraient révolus, Abram
pourrait revenir et y serait accueilli avec le plus grand bonheur.
Abram demanda encore une faveur à
Melchisédech.
— Parle, je te l’accorde d’avance.
— Les parents du jeune Eliézer de
Damas sont morts. Devant toi, je déclare que je le considère désormais comme
mon fils adopté. La faveur que je te demande, c’est de garder Éliézer près de
toi pendant que je suis chez Pharaon. Nul ne sait ce qui nous attend là-bas. Si
je venais à être tué, Éliézer pourra demeurer sur la terre de Canaan en se
réclamant de mon nom.
Melchisédech trouva la décision sage. Mais
Loth, lorsqu’il l’apprit, eut un ricanement glacé.
— Ainsi, Abram s’est trouvé un fils de
famine, déclara-t-il à Saraï.
Cinquième partie
Pharaon
Saraï, ma sœur
Ils avançaient lentement, marchant de
courtes heures, dans la fraîcheur du matin et du soir. Abram le voulait ainsi
de manière à ne pas épuiser les plus faibles, humains ou bêtes, dont la faim de
Canaan avait dévoré les muscles.
La mer était terriblement brillante. Elle
éblouissait les yeux, saoulait le regard de son immensité. Pour la plupart, ils
n’en avaient pas l’habitude. La nuit, son vacarme inquiétait et empêchait le
sommeil. Mais elle leur donnait à manger. Abram montra comment tisser des
filets et les lancer depuis les rochers ou debout dans l’eau, au milieu des
plages immenses de sable doré. Il montrait aussi comment ramasser les
coquillages sous le sable, attraper des écrevisses de mer dans des paniers.
Autour de lui, les enfants retrouvaient leurs rires et apprenaient vite.
Saraï le regardait faire, pleine de
tendresse. Elle se souvenait des premiers mots qu’il lui avait adressés au bord
de l’Euphrate : « Je péchais. C’est la bonne heure pour les
grenouilles et les écrevisses. Si personne ne vient vous marcher dessus en
hurlant ! »
Ils atteignirent des villages où les
maisons n’étaient que des huttes. Le vent de la mer y sifflait entre les joncs.
On les voyait venir de loin : une longue cohorte bigarrée et lente,
environnée de troupeaux clairsemés à la laine grisée de poussière. On les
accueillait avec défiance et curiosité. Mais Abram, malgré le peu de bêtes qui
lui restaient, troquait un mouton contre du poisson séché, des dattes, des
herbes fraîches et odorantes, des figues et des informations. Il disait :
— Nous allons chez Pharaon car la
famine règne partout au nord, d’où nous venons.
On lui répondait :
— Prends garde. Il y a eu beaucoup de
guerres chez Pharaon. Il n’aime pas les étrangers. Il prend les femmes et le
bétail, il tue les hommes et les enfants. Il a des soldats partout, en nombre
incroyable, bien vêtus et bien armés. Il dit qu’il est un dieu et on le croit
tant il est puissant. On dit qu’il sait transformer les choses. Faire venir
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