Sarah
la
pluie ou la sécheresse. On dit qu’il est entouré d’or. Ses palais sont couverts
d’or, et jusqu’à ses épouses dont le corps est d’or.
Abram fronçait les sourcils, un peu
moqueur :
— Des épouses en or ?
Les vieux pêcheurs riaient, désignaient
Saraï :
— Moins belles que la tienne,
certainement. Mais c’est ce qu’on raconte, oui. Des épouses en or. Pharaon veut
autour de lui ce qui est le plus beau. C’est sa puissance.
Abram hochait la tête, incrédule mais
soucieux. De temps à autre, il faisait dresser la tente aux bandes blanches et
noires. Il y écoutait les complaintes des uns, les suggestions des autres.
Beaucoup demandaient :
— Qu’allons-nous dire à Pharaon quand
il nous enverra ses soldats ?
— Que nous n’avons besoin que d’un peu
d’herbe afin de faire paître et croître nos troupeaux. Rien de plus.
— Mais s’il veut voler nos femmes,
ainsi que l’affirment les pêcheurs ?
Abram jetait un regard vers Saraï et
grommelait, entre la colère et l’ironie :
— Ces pêcheurs ont si peur de Pharaon
qu’ils sont prêts à lui inventer tous les pouvoirs. On se croirait revenu dans
le royaume d’Akkad et de Sumer.
*
* *
Cependant, de village en village, on leur
répétait les mêmes mises en garde. Pharaon possédait une armée invincible.
Pharaon était un dieu. Parfois il changeait de tête pour devenir faucon,
taureau ou bélier. Pharaon était insatiable dans son goût pour la beauté, celle
des villes comme celle des femmes.
Saraï sentait la crainte monter autour
d’elle. Le mot de Pharaon glissait comme une ombre de bouche en bouche,
obscurcissant les visages.
Abram s’éloigna, demeurant des jours
entiers loin d’eux. Saraï devina qu’il s’écartait pour crier le nom de Yhwh,
espérant Son conseil. Mais, à son retour, la déception durcissait ses traits.
Lui aussi resta silencieux. Cependant il jeta à Saraï un regard qui semblait
dire : « Tu as insisté pour que je conduise mon peuple chez Pharaon.
Tu vois le danger que nous courons à cause de cette décision. »
Loth surprit ce regard et le comprit. Le
soir même il apporta à Abram la dernière cruche de bière qu’il lui restait de
Canaan. Quand ils eurent bu deux gobelets, il remarqua :
— Regarde le nombre que nous sommes,
Abram. Tout un peuple. Des milliers. Sans compter le bétail, même si nos
troupeaux se sont faits maigres. On pourrait croire à une invasion de
sauterelles ! Qui ne serait effrayé de nous voir arriver sur ses
terres ?
— Que veux-tu dire ?
— Chaque jour nous rapproche de la
terre de Pharaon. Il nous faut être prudents.
Abram eut un rire aigre :
— Je ne connais personne ici qui n’ait
cette pensée.
— Moi, j’ai une idée : laisse-moi
aller de l’avant avec quelques compagnons pour savoir où sont les soldats de
Pharaon.
— Pour quoi faire ?
— Connaître leur nombre, leur force,
savoir sur quels chemins ils se trouvent, s’ils nous attendent ou s’ils seront
surpris de nous voir.
— Tu veux te battre avec eux ? À peine
lèveras-tu un bras qu’on te le tranchera ! s’exclama Abram. De plus, nous
allons demander de l’aide à Pharaon. On ne se bat pas avec celui à qui on tend
la main.
— Qui pense à se battre ?
protesta Loth. Bien au contraire. Je veux seulement rencontrer les soldats de
Pharaon. Nous serons en petit nombre, une ambassade. Ils ne croiront pas que
les sauterelles envahissent leur pâturage. Nous pourrons leur demander le droit
d’entrer sur les terres d’Égypte. Ils accepteront ou ils refuseront. Nous
saurons à quoi nous en tenir.
— Rien ne les empêchera de vous
massacrer.
Ce fut au tour de Loth d’avoir un sourire
railleur :
— Eh bien, j’aurais montré que, même
si je ne suis pas son fils, je suis digne du nom d’Abram.
Abram ignora le sarcasme. Il consulta les
anciens. Tous s’accordèrent à trouver la proposition judicieuse. Une vingtaine
de jeunes gens acceptèrent d’accompagner Loth.
Ils partirent dès le lendemain, sans autre
équipage qu’une mule avec un peu d’eau et de nourriture et leurs bâtons. Saraï
serra Loth contre elle. Elle lui baisa les yeux et le cou en murmurant des mots
de tendresse et de prudence. Aussi longtemps qu’elle put distinguer la
silhouette du petit groupe s’éloignant au flanc d’une colline sableuse, elle
les suivit du regard, pleine d’appréhension.
*
* *
Dans les jours qui suivirent, Abram
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