Sarah
mais il se
tourna vers Abram. Sa voix n’était plus aussi légère :
— Je t’accorde des terres pour ton
troupeau et du grain pour ton peuple, Abram. Et cela jusqu’à ce que les
pâturages de Canaan reverdissent. Demain, Tsout-Phénath te reconduira auprès
des tiens. Ta sœur reste auprès de moi. Peut-être saura-t-elle être ma terre et
mon grain.
La vérité
La fraîcheur d’avant l’aube réveilla Saraï.
Le froid se posa comme une main sur sa poitrine nue. Elle se dressa en sursaut,
repoussant la main imaginaire.
Derrière les tentures transparentes les
feux de naphte vacillaient sur la terrasse, dispensant une faible lumière
rousse dans la chambre.
Elle reprit tout à fait ses esprits.
Pharaon bougea à son côté.
Il n’était plus tout à fait Pharaon mais un
homme nu, aux joues lisses, au corps doux, dormant dans un lit en forme de
barque, immense et plein d’ombres. Ses cheveux étaient bouclés et courts comme
ceux d’un enfant, son épaule puissante. Saraï y devinait les traces que ses
dents y avaient laissées dans la nuit, emportée par le plaisir.
Elle eut envie de les caresser, d’y poser
un baiser. Elle parvint à se retenir.
Elle baissa les yeux sur son propre ventre,
ses cuisses, ses seins. Eux ne portaient aucune trace. C’était seulement à
l’intérieur que son corps demeurait encore fiévreux du plaisir que Pharaon
avait su y faire naître. Une jouissance absolue, où elle s’était engloutie tout
entière, terrifiée puis comblée.
Comment cela se pouvait-il ?
Le souvenir des caresses lui revint,
faisant trembler sa chair. Elle les repoussa, mais ce fut la pensée d’Abram qui
l’assaillit. Elle la chassa avec violence. En cet instant, elle haïssait Abram.
Elle ne voulait plus jamais le voir ni le connaître.
Oui, si Pharaon voulait d’elle, éprouvait
avec elle autant de plaisir qu’elle en éprouvait, pourquoi ne resterait-elle
pas, jusqu’à la fin des temps, la sœur d’Abram ?
Même le dieu d’Abram, elle le
détestait !
La honte lui noua la gorge. Elle dissimula
son visage dans ses mains, se recroquevillant, les cuisses serrées contre son
torse.
Mais le sanglot ne monta pas jusqu’à sa
gorge. La main de Pharaon venait de se poser au creux de ses reins. La caresse
remonta jusqu’à sa nuque. Elle frissonna, bascula contre lui avec un
gémissement animal. Elle referma ses mains sur ses joues lisses, avide déjà de
sa bouche, de la souplesse de son long corps contre ses hanches.
Avide du désir de Pharaon qui flamboyait
dans l’or de ses iris et se nourrissait d’elle jusqu’à l’inconscience du
plaisir.
*
* *
Il faisait à peine jour. Saraï était debout
derrière les tentures transparentes. À travers les fils lâches, elle regardait
les ombres s’effacer des jardins et des bassins.
Elle ne voulait plus être dans le lit. Ne
plus être près de Pharaon. Ne voulait plus du désir de Pharaon.
Elle essayait de ne penser à rien. Ne plus
rien ressentir.
Que sa chair brûlante, irritée de caresses,
devienne une pierre dans le gel !
Elle songea à la servante Hagar, à la
cicatrice dans son dos.
Si elle s’enfuyait, tirerait-on des flèches
sur elle ? Mais s’enfuir où ?
Y avait-il un seul espace de l’Égypte où
l’on pût échapper au regard de Pharaon ?
Elle eut un petit rire, amère comme une
gorgée de bile.
Elle murmura :
— Pharaon sait tout !
*
* *
Pharaon se réveilla en sursaut, gémissant.
La bouche ouverte il se dressa.
— Saraï !
Il ouvrit les bras dans la grande barque de
son lit, appelant et ordonnant :
— Saraï !
— Je suis là.
Il la vit devant les tentures, nue et
froide. Il cria :
— Je viens de faire un rêve
mauvais ! La famine de ton peuple devenait ma famine. Les serpents et
crocodiles grouillaient dans mes bassins. Mes épouses pourrissaient entre mes
bras et une voix me criait que tu n’étais pas la sœur d’Abram, mais son épouse.
Saraï s’approcha du lit et de Pharaon. Elle
effleura sa joue puis tira le grand drap pour s’envelopper dedans.
— C’est la vérité. Je suis Saraï,
l’épouse d’Abram. Pharaon hurla :
— Qu’est-ce que tu m’as fait ?
Saraï s’écarta, soulagée, calme.
Surveillant les mains de Pharaon pour se protéger de ses coups. Mais il hurlait
encore :
— Pourquoi ? Pourquoi me mentir
ainsi ?
— Parce que Abram a eu peur que tu le
tues afin que je devienne ta femme. Et que moi aussi, j’ai eu peur
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