Sarah
lui.
*
* *
Ménageant leur immense troupeau,
contournant le désert de Shur, ils mirent plus d’une année pour atteindre
Canaan.
Une année pendant laquelle Saraï ne
s’adressa à Abram que lorsque cela était indispensable. Elle ne le reçut pas
non plus dans sa tente. Et jamais elle ne pardonna à Loth les mots qu’il avait
prononcés à son retour du palais de Pharaon. Le neveu d’Abram se traîna à ses
pieds, s’humilia en repentances publiques, accusa sa tristesse et son ivresse.
Chaque fois Saraï lui tourna le dos.
Loth cessa ses plaintes. Il ne quitta plus
l’arrière de la caravane, n’avançant que dans la poussière des troupeaux et
buvant comme un trou à l’approche du crépuscule. L’ivresse l’emportait jusqu’au
matin, de temps à autre jusque dans le plein jour. Parfois, il fallait le
transporter sanglé comme un sac sur le dos d’une mule.
Pas une fois Abram ne le sermonna.
En vérité, pendant des lunes, tous
baissèrent la nuque.
Du haut du panier d’osier sanglé sur le dos
de son éléphant, le regard de Saraï pesait sur eux. Un regard de pierre. Elle
ne quittait pas les bijoux offerts par Pharaon. Dans le soleil, leur or
brillait si violemment sur son front, son cou et ses seins qu’il aurait brûlé
les pupilles de celui qui aurait levé les yeux vers elle.
Le soir seulement, lorsqu’elle descendait
de son animal monstrueux, quelques femmes scrutaient son visage en cachette.
Elles voulaient y surprendre la peine ou le pardon mais ne trouvaient que
l’indifférence et la beauté. Cette beauté toujours prodigieuse, sans même la
marque d’une ride, d’une première flétrissure imposée par le vent de la mer ou
la morsure du soleil.
Pourtant, un matin de printemps, alors que
l’on s’approchait enfin de Canaan, un murmure parcourut la caravane. Les têtes
se tournèrent vers l’éléphant. Là-haut, dans sa nacelle d’osier, Saraï s’était
recouvert la tête d’un voile rouge qui lui tombait jusqu’à la taille. Un voile
maillé assez lâche pour qu’elle puisse voir à travers sans que l’on puisse en
retour distinguer son visage.
Le lendemain et le surlendemain, elle porta
ce même voile. Et tous les jours qui suivirent. Désormais, Saraï n’apparut plus
hors de sa tente sans être recouverte de son voile rouge.
Certains crurent que son visage avait
changé durant la nuit. Qu’elle s’était enlaidie. Peut-être même avait-elle
attrapé la lèpre chez Pharaon et ne voulait pas que l’on s’en aperçût. Mais on
vit qu’Abram faisait comme si rien d’étrange n’était arrivé à Saraï. Il ne la
questionnait pas. Il ne lui demandait pas la raison de cette dissimulation.
Peu à peu, les murmures et les folles
suggestions cessèrent. Bientôt, chacun comprit, sans que les mots soient
prononcés : Saraï ne voulait plus que sa colère et sa beauté soient le
fardeau de tous. Elle était lasse de rappeler par son apparence la source de
leur abondance nouvelle. Il en demeurait cependant un contre lequel son
courroux ne faiblissait pas. Le seul qui pût soulever son voile pour implorer
son pardon et ne le faisait pas : son époux Abram.
Le soulagement fut grand. On s’habitua au
voile rouge de Saraï. On trouva même cela infiniment apaisant de ne plus
affronter sa beauté parfaite et inaltérable mais seulement d’apercevoir, de
temps à autre, celle infiniment plus changeante de sa servante Hagar. Les rires
revinrent auprès des tentes. Chacun laissa soudain déborder sa joie d’arriver
bientôt sur la terre de Canaan.
*
* *
Ils approchèrent de Salem un jour de pluie.
Les champs et les collines reverdissaient sous les bourrasques. Les chemins
étaient amollis par une boue assez grasse pour que leur immense troupeau ne soulève
pas de poussière.
Melchisédech se précipita à leur rencontre,
suivi des trompes, des tambours et des rires de bienvenue de son peuple. On
s’émerveilla de la richesse de ceux qui étaient partis mordus par la faim pour
revenir gras et rubiconds. On entoura les éléphants, s’esclaffant devant les
trompes et les oreilles démesurées.
Toutefois, lorsque Saraï salua Melchisédech
sans ôter son voile, la surprise et la tristesse fripèrent le visage du vieux
roi. Une question vint sur ses lèvres. Son regard croisa celui d’Abram. Il se
tut, battit des paupières et ouvrit grands les bras, tandis que les chants de
joie remerciaient le Dieu Très-Haut de ses bienfaits. Sans attendre
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