Satan à St Mary le bow
cette tâche sans rien vous dire, mais nous vous avons sciemment choisi pour des qualités dont vous n’avez pas fait montre jusqu’à présent : la perspicacité et la ténacité, la loyauté envers le roi, un coeur et un esprit incorruptibles. J’espérais, le roi espérait, que vous en viendriez aux mêmes conclusions que nous, avec cette différence que vous, vous auriez découvert cette trahison, les traîtres responsables et les preuves qui les enverraient au gibet. Nous espérons encore que vous pourrez le faire, bien que le temps ne joue plus en notre faveur. Corbett soupira profondément et se détendit, conscient qu’il était encore précieux à cet homme impitoyable et au maître encore plus impitoyable qu’il servait.
— Que puis-je dire ? demanda-t-il. Que voulez-vous savoir ? Et surtout, que dois-je savoir ?
Il sentit soudain la colère l’envahir : comment avaient-ils pu lui donner une mission sans lui en révéler la nature exacte ?
— Vous, Monseigneur, vous m’avez envoyé enquêter sur un suicide sans me dire que c’étaient des traîtres que je devais rechercher. Qu’étais-je censé faire ? Tâtonner dans le noir jusqu’à ce que je tombe sur quelque chose ? Ou pire, me faire prendre au piège en ignorant ce qu’était ce piège ? Qui sont ces traîtres ? De quelle trahison s’agit-il ?
Le chancelier pinça les lèvres ; en bon homme de loi, il pesa aussi soigneusement ses paroles qu’un usurier son argent.
— Nous ne connaissons pas les traîtres, répondit-il, ou même la trahison qu’ils préparent. Tout ce que nous savons, c’est que les « Populares », ces radicaux partisans de Montfort, ont reconstitué leurs forces et ourdissent une nouvelle révolution dans le pays et dans cette cité, et que leur premier but est de supprimer le roi par tous les moyens possibles.
Le chancelier fouilla dans les poches de son ample habit et en sortit une petite bourse de cuir, comme celles où les clercs de la Chancellerie rangeaient étiquettes et morceaux de parchemin. Il l’ouvrit et, la secouant, en fit tomber un bout de manuscrit qu’il tendit à Corbett :
— Lisez ceci, Messire ! Examinez-le ! Nous l’avons reçu d’un de nos agents dont le cadavre fut retrouvé flottant dans la Tamise. C’est tout ce qu’il nous a fait parvenir avant de mourir.
Corbett déplia le parchemin sale et graisseux. Son message était court et abrupt :
Montfort n’est pas mort. Fitz-Osbert n’est pas mort. Tous deux vivent dans la cité et chasseront notre suzerain le roi.
Corbett rendit le message au chancelier.
— Bien sûr, chacun sait qui était Montfort — la voix du chancelier se durcit —, mais ce qui est inquiétant, c’est que beaucoup dans cette ville voient encore en lui un sauveur. Montfort appartenait à la noblesse, mais il séduisait le peuple, pas les grands marchands, mais les petits commerçants et les compagnons qui répétaient des phrases comme : « Ce qui concerne tout le monde doit être discuté par tous » ; Montfort insistait sur la réunion de parlements, c’est-à-dire d’assemblées où pourrait débattre toute la communauté du royaume. Notre suzerain a repris cette idée, mais pas dans le sens où l’entendait Montfort : lui voulait que les chapeliers, cordonniers, charpentiers et autres maçons ne participent pas seulement au gouvernement, mais le contrôle entièrement.
— Mais Montfort est mort à Evesham, réduit en bouillie comme une pomme pourrie ! s’exclama Corbett. Sa famille, ses partisans et lui ont été anéantis par le roi !
— Non, répliqua Burnell. Beaucoup d’entre eux ont survécu et ont répandu leurs doctrines radicales et le font encore à Londres, exploitant les rêves et les aspirations de la cité...
Il s’arrêta et prit un parchemin.
— Ceci était épinglé à St Paul’s Cross hier. Écoutez ! dit Burnell d’une voix narquoise en dépliant le parchemin sale et froissé :
Sachez, citoyens de Londres, à quel point vous êtes méprisés et opprimés par le roi et les grands seigneurs à la cupidité sans frein. S’ils le pouvaient, ils vous prendraient votre part de soleil et taxeraient l’air que vous respirez. Ces hommes, le roi et sa reine espagnole, à qui nous rendons un hommage forcé, se nourrissent de notre substance et n’ont qu’une seule pensée : se vêtir d’or et de bijoux, construire de superbes palais et lever de nouveaux impôts pour assujettir cette
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