Satan à St Mary le bow
cité. Leurs prêtres ne valent pas mieux, pasteurs plus intéressés à tondre leurs ouailles qu’à les soigner. Mais le Jour de la Libération est proche : ce jour-là, les vers de la terre dévoreront de cruelle façon les lions, les léopards et les loups princiers, car les gens du commun auront écrasé tous les tyrans et les traîtres.
Le chancelier acheva sa lecture, le visage légèrement empourpré et le souffle court.
— L’auteur ? intervint Corbett.
— Nous ne savons pas qui c’est, répondit l’évêque avec irritation, mais ceci est de la haute trahison. Quelque chose se trame dans les profondeurs obscures et boueuses de cette ville.
— Est-ce à cela que fait allusion le « Jour de la Libération » ? coupa Corbett.
Burnett poussa un petit grognement de dérision.
— Le Jour de la Libération ! De quoi, je vous le demande ?
Corbett pensa à ce qu’il avait vu pendant ses tournées dans les comtés et les faubourgs de Londres, aux petites gens, vivant dans de simples chaumières en torchis, accablés d’impôts par les shérifs et harcelés par les baillis et intendants de la Couronne. Ils menaient une vie très dure. Un jour, il avait observé un groupe de paysans à la barre d’une cour d’assises à Kenilworth : tels des coqs trempés par la pluie, ils se tenaient la tête basse, crasseux et dépenaillés. Un de ses confrères avait dit en plaisantant qu’une âme de paysan ne pouvait aller ni au paradis ni en enfer, car anges et démons refuseraient de s’en approcher à cause de l’odeur. Corbett médita sur tout cela, mais s’abstint sagement de répondre à la question du chancelier. Il aborda un autre sujet :
— Je sais qui était Fitz-Osbert, dit Corbett. Un adorateur de Satan d’il y a une centaine d’années, mais qu’a-t-il à voir avec tout cela ?
— Fitz-Osbert était autant un rebelle qu’un adorateur de Satan ! répliqua Burnell.
Le chancelier prit un petit crucifix sculpté sur son bureau.
— Il y a des milliers de crucifix, poursuivit-il, dans les châteaux, maisons et simples chaumières de ce royaume. Notre pays est couvert de monastères, de couvents et d’abbayes. Chaque ville a sa cathédrale, chaque village son église. Pourtant le christianisme n’est encore que superficiel. Le paganisme d’antan survit : nous avons rencontré au pays de Galles cette adoration des forces des ténèbres et le retour constant aux rites d’autrefois !
Burnell désigna les fenêtres étroites comme des meurtrières.
— Même l’abbaye est bâtie sur un ancien lieu de culte païen. Lisez les rapports des cours ecclésiastiques et vous y trouverez la superstition : un tel met la sainte hostie dans son jardin pour en écarter les insectes nuisibles, une telle façonne la figurine de cire de son mari pour pouvoir le faire souffrir, et il y a tous ceux qui consultent magiciens, sorcières et autres devins. Fitz-Osbert survit dans de telles pratiques : c’était un rebelle parce que l’Église l’avait condamné, or l’Église est protégée par l’État, donc, attaquons et détruisons l’État, et l’Église devient vulnérable. Ce qui m’inquiète et m’intrigue, conclut l’évêque, c’est la raison pour laquelle notre agent a mentionné, côte à côte, Montfort et Fitz-Osbert. Qu’avait-il appris ? Si seulement il avait pu nous en dire plus !
— Qui était-ce ? railla Corbett. Un pauvre clerc qu’on a expédié en mission sans rien lui dire du danger et de la situation exacts ?
— Non, répondit Burnell en souriant. C’était un jeune noble, un écuyer du nom de Robert Savel. Les rebelles, quels qu’ils soient, introduisent des armes dans la ville. Toute une cargaison a été discrètement confisquée au château de Leeds, dans le Kent, et d’autres dans des châteaux aux environs de Londres.
— Et Save) était chargé de découvrir si ces armes avaient été acheminées jusqu’à Londres ?
— Exactement, répondit Burnell. Savel commença ses recherches à Southwark en travaillant dans une hôtellerie appelée Le Gâte-Sauce, au coeur de ce quartier puant les égouts. Il y est resté dix jours, il ne m’a rien envoyé à part ce bout de papier ; puis on l’a retrouvé, la gorge tranchée, la tête dans l’eau, flottant dans les herbes près de la berge de Southwark. Ce n’est qu’en faisant passer au crible les registres des coroners que j’ai appris sa mort.
— Il n’a rien
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