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Septentrion

Septentrion

Titel: Septentrion Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Louis Calaferte
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c’était pour moi une rasade de comique pur. Le premier mouvement de bonne humeur dissipé, je fus tenaillé par la faim et ne vis rien de mieux à faire que célébrer à retardement ses funérailles dans un restaurant devant un ragoût sauce piquante qui était, je m’en souvins à temps, son plat de prédilection dans les jours de liesse. Raison qui m’incita tout naturellement à en commander deux pleines assiettes – pour perpétuer à jamais le souvenir.
    Pauvre bougre. Triste fin. Comment finirai-je moi-même et quand ? Ce soir ? Demain ? Dans soixante ans ? Que ce soit la semaine prochaine ou en l’an 2000, par rapport à moi dans le temps qu’est-ce que ça change ? La durée ne modifie pas le devenir d’un iota. Mort en naissant. Naître à la mort. Une enjambée. Inexplicable trajectoire de la mort à la mort. À moins que ce ne soit du fœtus au fœtus. À chacun son heure.
    Y a-t-il beaucoup de gens qui s’imaginent morts, le corps allongé dans la caisse, pour tout de bon, roide et froid comme un bout de fer avant qu’on vienne leur clouer le couvercle sur la tête, aux pommes pour le déménagement funèbre. C’est l’ultime fraction de seconde entre vie et trépas qui doit être saumâtre à encaisser. Personne n’a jamais eu le loisir de dire un mot sensé là-dessus. Tout le mal qu’on s’est donné pendant des années. Dans le lac. Foiré. La peau et les os pour tout bagage. Et peut-être une peur atroce de ce qui vous attend au-delà. Que sera la vie après la mort ? Et entre-temps, ça a servi à quoi, d’après vous ? À mourir , pardi ! Pas tellement de différence. Deux manières d’être, tout au plus. Un trou dans la terre et une pierre par-dessus. Ecce homo ! Regretté des siens qui sont néanmoins enchantés de continuer surtout après avoir vu un mort de si près.
    Ne seront pas nombreux, moi, pour me regretter. Ça se bousculera pas aux condoléances. Encore bien heureux si ce n’est pas la fosse municipale. Comment pourra-t-on s’y repérer le jour du partage, les bons à droite, les autres à gauche, l’arme à la bretelle, un numéro minéralogique pour la distribution des auréoles ? On aura bonne mine au bord des trous rouverts, dans le plus simple appareil. Au cas où l’on verrait la pire des vaches recevoir quand même sa récompense, un type qui vous en a fait baver personnellement quelque six cent mille ans plus tôt, sera-t-on autorisé à élever une objection ?
    Pour ce qui est de l’heure présente, j’échangerais sans hésiter mon tour de résurrection contre une cigarette. Une cigarette et quelque chose de frais à boire. Avec la fenêtre fermée ça tourne au bain maure. Orage d’amiante. On serait bien au bord de la mer. À faire trempette toute la journée. Nanti d’une mignonne toujours en train, le corps bien net, pas contaminée par la nécessité de vivre. Petit ange romantique des jeunes années. Fille-fleur. Marbre blanc. Avec les veines frêles et bleues sur la saillie du cou. Dans la chambre drapée. Sur la couche d’hermine. Cheveux défaits. L’amour. Mort douce aux effluves de lavande. La brise filigrane empourprée du sel de mer soulève le grand rideau de mousseline qui chavire en ombres prolongées au rythme somnolent des vagues du rivage indécis. Petit coquillage compliqué incrusté sur mon ventre pour le sommeil de la bienheureuse lassitude. Un univers d’amour bourdonne à nos oreilles. Nous reposons dans le long silence des cathédrales, nos deux mains chevillées et nos âmes à nu, protégés et nourris par le personnel stylé du plus gigantesque palace de l’architecture imaginaire. Comme tu es belle, endormie ! Les cloches stalactites de la vieille chapelle espagnole ne te réveilleront demain que bien après l’aurore et tu jailliras, nue, dans l’orbe mouvant du soleil comme apportée sur terre par un grand fond de lames lumineuses. Il ne nous restera plus qu’à avaler le petit déjeuner copieux sous le parasol de la corniche avant de penser à nos déguisements pour le bal costumé du soir. Mais qui, qui se sera cassé les roupettes pour avoir tout ce pèze à flamber ? Mettez une réponse à ça si vous en avez une dans vos tiroirs.
    Sans chercher plus loin, un modeste bain serait le bienvenu. La sueur qui perle sous les bras. Je passe mes doigts. Ça sent l’acide. Je ne déteste pas cette odeur. Même chez les femmes. Je devrais me laver, ça me ferait du bien. Flemme de bouger. La serviette

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