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Septentrion

Septentrion

Titel: Septentrion Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Louis Calaferte
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cigarette. Le paquet est sur la table. Il ne pleut plus. Nous fumons à la même cigarette. Je prends sa nuque dans la main. Nous sommes dans cette chambre, le temps n’a plus de consistance, il fait exagérément chaud, je sens son parfum, je croche mes doigts dans ses cheveux, nos corps se touchent, le bruit liquide de la pluie s’égoutte en un endroit quelconque de la pesanteur irréelle, nous sommes tranquilles, nous ne nous connaissons pas. Nous pourrions être morts. Il n’y a pas de raison pour que cet engourdissement ait une fin. Nous regardons au-dessus de nous, le plafond terne, taché, des mouches qui avancent par saccades. Nous appartenons à ce petit monde cylindrique ossifié d’un après-midi de dimanche pluvieux. Tout se passe comme si nous avions déjà vécu ailleurs ce long apaisement et que, pendant tout le temps de notre éloignement, nous n’ayons fait que nous préparer à le renouveler dans nos mémoires. Rien de plus naturel à ce que nous soyons allongés côte à côte. Je l’entends respirer. Je mords une mèche de cheveux entre mes lèvres. Quelqu’un referme la porte de l’ascenseur dans l’hôtel. Des voitures passent, le caoutchouc des pneus chuintant sur le goudron humide. L’agitation du dehors ne nous concerne pas.
    Désormais, notre vie a les murs de cette chambre pour limites. Il s’établit entre nous une entente calme, reposante, étonnante. Les choses vont être simples maintenant. Vêtue chaque jour de ce peignoir de soie, elle marchera autour de moi en évitant de faire du bruit pendant que je travaillerai à mon livre. Je la regarderai aller et venir sans qu’elle s’en aperçoive. Nous aurons faim, ou envie de voir des gens, de faire l’amour tout un après-midi, d’aller au spectacle, de bavarder d’un livre ou de nous taire. Elle lavera ce grand corps brun et j’irai l’embrasser, poser mes lèvres sur ses épaules mouillées, frotter mes mains à sa peau savonneuse. Je l’aiderai à passer sa robe, elle se peignera, elle se maquillera devant moi, nous nous verrons dans la glace, elle me demandera si j’ai envie d’elle. Je noterai ce qu’elle me racontera de son enfance, de son passé, ce qu’elle me dira de moi, des phrases éparses ou parfois une de nos conversations en entier afin d’écrire sur elle, plus tard, quand nous aurons passé des années ensemble, la faire revivre, telle qu’elle est aujourd’hui, un dimanche entre les autres, nue contre moi. Je sais qu’en m’écoutant lire ces pages qui lui seront consacrées, elle sourira, curieuse et douce, et qu’à la fin elle viendra passer ses bras autour de mon cou, debout derrière moi, et me dire d’une voix troublée que cela ne lui ressemble pas.
    Je prends sa main qu’elle serre sur la mienne comme si elle prévoyait que nous allions sombrer et qu’elle veuille me retenir ou m’entraîner avec elle. Ce geste, je ne sais pourquoi, me crispe le cœur. Il faut, moi aussi, que je me cramponne à cette main de toutes mes forces.
    C’est elle qui dit d’abord quelques mots. Sa voix que j’écoute. Basse. Caverneuse. Nos paroles ont du mal à s’enchaîner entre elles. On dirait que nous recherchons le vocable d’un très ancien dialogue su par cœur autrefois. Je la questionne brièvement. Non, elle n’habite pas ici. Elle repart demain dans la journée. Nos mains s’étreignent. Une mosaïque compliquée se disloque brutalement en moi. Alors, le flot me monte aux lèvres, que je suis incapable de contenir. Je serre cette main et je parle, sans reprendre souffle, comme si j’étais en train de me vider de mon sang. Ce que je n’ai dit à personne pendant un nombre incalculable d’années, désarroi, peur de moi-même, ces élans de rage qui me poussent vers le papier, mon orgueil, le principe de ténèbres qui est le mien et contre lequel il est inutile d’essayer de se défendre. Elle m’écoute sans bouger, sans m’interrompre. Le soleil qui fait sa réapparition placarde la découpe de la fenêtre sur le panneau du mur près du lit. Le silence succédant à la sorte d’hémorragie que je viens de m’offrir, je me sens extraordinairement bien et détendu. Plane. Comme après douze heures de sommeil. Je devais avoir un rude besoin de cette saignée. Maintenant, je pourrais me lever, dire au revoir à cette femme, traverser la pièce d’un pas égal et aller me balancer par la fenêtre du haut des six étages.
    Le soleil la couvre. Vernis d’or oblique sur la couche

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