Septentrion
qui pend à côté du lavabo est humide et sale. Une par semaine. Le lundi. Demain. Elle sent le moisi. Mon gant de toilette usé jusqu’à la trame. Ils tirent aussi sur le savon. Un petit bout de temps en temps. Gros comme deux doigts. Qu’on n’arrive pas à faire mousser. Ce sont des incidentes, vous me direz. Mon froc qui aurait besoin d’un dégraissage et d’un sérieux coup de fer, mes chaussettes percées à la pointe, le trou dans la molaire et les crises d’hémorroïdes qui vous empêchent de chier, autant de détails, n’en parlons plus. Et on appelle ça vivre !
Le dernier coup de tonnerre fait trembler les vitres. Le déluge, vous dis-je, que j’accueillerai par un rire infernal en les regardant tous se débattre comme des morpions, profitant du fracas pour leur crier deux ou trois vérités que je garde sur le cœur. Après quoi, je ne serais pas autrement surpris que l’ange Picriolle me repasse sa trompette afin de leur jouer un air suivant mon inspiration. Grégorien. En ut majeur. Qui évoquerait l’encéphalite ou l’hyène en rut. Tout indiqué pour le concerto de clôture. Les éclairs liment d’un trait le ciel noir que je vois de mon lit par le haut de la fenêtre. S’il pleut encore quand il faudra que je sorte ce soir pour becqueter, que diable vais-je me mettre sur le dos ? Pas d’imper. Mes pauvres godasses. Je me vois baguenaudant sous cette pisse. Miracle que le taulier soit bon cheval. Comment vais-je m’en sortir cette fois ? Me serre les tripes d’avance. Je pourrais déjà porter mon barda chez Sicelli ou chez Wierne si, par malheur, le taulier venait à changer d’idée. J’ai quelques papiers auxquels je tiens. Puisque c’est cuit et recuit, qu’il faut y passer. Trouver rapidos un boulot. Régime de six heures du matin qui va recommencer. Faire semblant de m’intéresser à leur mécanique et supporter le déconnage autoritaire d’un contremaître. Leur merdoierie de ferraille qui me sort par les yeux rien qu’à me la figurer. S’envoyer les discussions syndicales, je revendique, grande gueule, et puis doux comme une agnelle quand le patron se pointe à la visite. Pour peu qu’il soit homme à donner de la pogne alentour, ça devient un tournoi de lèche-culs apoplectiques au long des travées. Si je connais le topo, vous pensez ! À quatorze piges à peine j’étais à la corrida. On va remettre ça, d’accord. Peut-être que je me suis gouré du tout au tout sur ma personne. Rien ne prouve que j’aie le plus petit talent. Admettons. On me retrouvera pensionné du travail, avec une nombreuse petite famille, les lardons aux joues roses qui éclaireront de la fraîcheur de leurs rires le crépuscule de mes ans. Mon cul ! Je préfère crever sur un banc dans la rue, les encombrer de mon cadavre, que ça les choque une dernière fois.
Ça pue ici, la fenêtre bouclée. La pluie redouble. Rafales contre la vitre. Je me demande s’ils ont rentré leurs canaris. Et pourquoi n’irais-je pas pisser ? Le trajet dans le couloir fera diversion. Je me passe un coup d’eau sur la figure. Temps idéal pour le ciné. Deux heures d’oubli, comme on dit. Il y en a un pas cher dans le quartier. J’enfile mes chaussures. Les lacets pleins de nœuds rafistolés. J’ai brûlé ma liquette l’autre jour avec de la cendre de cigarette. Un petit trou marron juste sur le plastron et deux boutons qui se sont fait la malle. Démuni en chemise. Plus que deux. L’autre est bouffée au col. C’était de la belle came. Du temps de mon lustre avec Nora la fauve. Qu’a-t-elle pu devenir, celle-là ? Ça me fait rigoler.
Appelez ça coïncidence si vous voulez – exactement en sortant de ma chambre, l’oreille encore bercée d’hymnes de la Hollande tulipière, j’ai devant les yeux une fille en peignoir, la porte en face de la mienne. Qu’est-ce qu’elle fout là, elle rentre ou elle sort, nous nous sourions ; brune, un peu olivâtre, les cheveux flous, sans maquillage, la bouche épaisse ; je fais allusion à l’orage, elle tient sa porte entrebâillée, des mules aux pieds qui sortent de dessous la robe, bougrement taillée, me dépasse au moins de dix bons centimètres, elle doit revenir de pisser elle aussi, le couloir est sombre, je pense un instant à la repousser dans sa chambre en la suivant sans autres salamalecs, ça pourrait très bien se faire, mais si jamais elle s’affole et qu’elle ameute l’étage, dans ma situation avec le taulier ce
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