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Septentrion

Septentrion

Titel: Septentrion Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Louis Calaferte
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rogné comme un chancre en travail sur le mur devant moi. Une conduite d’eau qui fuit, la mousse de crasse et de savon s’est accumulée à la jointure, bourrelet moisi. Dans la maison à côté, il y a un corniflot qui a trouvé le moyen de cadenasser deux canaris dans une cage accrochée à son volet. La nature à domicile. Ils sont là, torves, paumés sur leur perchoir, les plumes ébouriffées. À quoi pensent-ils, à quoi rêvent-ils dans leurs crânes minuscules ? Au rouge déclin solaire de leurs îles natales, à la grande paix de la mer languissante, aux forêts chaudes de leurs ancêtres. Ils pensent peut-être qu’ils ont la croûte assurée et que ce n’est déjà pas si mal. Si je trouvais quelqu’un qui me donne un perchoir et ma ration de millet ! Pour ne pas être en reste, je lui réciterais tous les matins, de ma voix la plus harmonieuse, un petit couplet du Dante : Mi trasse Beatrice, e disse : mira  – Quanto è il convento delle bianche stole ! Ça remplacerait avantageusement n’importe quel oiseau des îles. En plus des graines, aurais-je droit aux cigarettes ?
    Vapeurs de chaleur par bouffées. La rue s’assombrit. Temps cafardeux. Clamez , chantez votre joie, ô vous toutes, créatures, c’est le jour du Seigneur ! Où est-Il, celui-là ? Déjà un moment qu’on ne L’a pas aperçu dans les parages. Doit faire comme tout le monde. Doit bouffer. Il est midi. Le bide, c’est sacré.
    J’en vois quelques-uns en plongée par les fenêtres ouvertes. Les hommes en chemise blanche. Les femmes vêtues légères. Serviettes sur les cuisses. Leur connerie de radio qui piaille de tous les côtés à la fois. Ils n’ont pas le plus infime soupçon de ce qui se passe en eux, mais ils veulent savoir ce qui se trame dans les cinq continents. Si on a bien fini de zigouiller les derniers hommes de couleur et si la star a eu ses règles ce mois-ci, comme prévu. Une mention spéciale pour la reine du Tipikanga en balade avec son promis dans les Shetland du Sud. S’en foutent plein la lampe, les salauds du troisième. Sont six à table. J’en vois six qui se passent les plats, ingurgitent et se torchent la bouche. La reine aussi doit s’engober. Turbot suprême, salade de truffes. La vie en patins à roulettes. Ils me donnent faim de les voir manger. Ce qui me ferait plaisir, moi, c’est un aloyau. Piqué à l’ail avec une montagne de frites autour. Je pourrais tenter de me faire inviter ce soir chez quelqu’un que je n’ai pas torpillé depuis longtemps. Téléphoner maintenant en prévenant que je passerai les voir. Ils prétexteront que c’est dimanche, qu’ils sortent ou qu’ils ont de la famille. Pourtant, qu’est-ce que c’est qu’une assiette de plus, bon sang ! Les gouttes s’écrabouillent sur les toits comme des boules de gros raisin. Le ciel opaque. Ce que je donnerais pour que ce soit une inondation générale ! Et cette fois, faites gaffe, pas une seule ridelle, pas le moindre clou, ni arche ni radeau ni rien qui tienne l’eau. Tous au jus ! Par asphyxie, en groupe, en masse, le riche, le pauvre, la tasse finale, tous les trésors du muséum, la grande musique et le chewing-gum, au bouillon, noyé, bouffi, avec la placide bénédiction de ci-gît l’Éternel nourri de rognures d’âmes. Surpris en pleine déglutition, mes bons voisins. Six en détresse au milieu des écuelles flottantes et des peaux de crevettes du dimanche. La radio à la remorque, miaulant toujours obstinément ses trilles d’amour. Et la reine du Tipikanga, qu’en fait-on ? À la mer ! Les grands de ce monde ne doivent-ils pas rester stoïques et donner l’exemple dans l’adversité ?
    Pluie roulante. On ferme les fenêtres en face. Une femme encore jeune. Dans les trente-cinq. Robe décolletée. Nichons potables, d’après le peu que j’en vois. Je lui adresse un clin d’œil, par pure distraction. Elle hoche la tête et pousse les deux battants. À quoi va-t-elle penser maintenant en retournant à la table de famille saucer son pain dans le jus du rôti ? Il y a une chance qu’elle s’arrange pour repasser exprès devant la fenêtre. À force d’être tous les six, du début à la fin de l’année, le cul sur la chaise à s’empiffrer de victuailles chaque dimanche, ne lui viendrait-il pas à l’idée de déraper dans un virage ? Je ne déloge pas. Rien en vue. Poule conjugale. Digne et fidèle. Si c’est son goût…
    La pluie gicle. Tiédasse. Un après-midi

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