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Septentrion

Septentrion

Titel: Septentrion Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Louis Calaferte
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de ne pouvoir vous obtenir toutes. Vos corps, mais aussi bien plus que vos corps. Votre trouble. Ou ce qui me trouble en vous. Le viol de ma propre imagination. Pensent-ils à la même chose les quelques rares types que je croise sur mon chemin ? Ne peuvent pas rentrer eux non plus. La piaule vide. Mégots dans le cendrier. L’odeur macérée de la cendre froide. La chemise raccommodée qui pend à l’espagnolette. La cravate sur le dossier de la chaise. Quelques cheveux dans la cuvette du lavabo. Le lit pas fait. Sous le lit la paire de chaussettes sales. Un bouquin ouvert, à plat sur le marbre de la table de nuit. Bouquin de quoi, de qui ? Si j’écrivais tous les soirs au lieu d’aller traîner ma bosse ? Mais c’est plus fort que moi. Je sais, je sens que la vie circule au-dehors, et rien ne pourrait me retenir de sortir. Et demain ? Après-demain ? Dormir le plus tard possible, bien entendu.
    Demain, c’est dimanche. Jour de merde par excellence.
    Dimanche.
    Le patron de l’hôtel me fait demander. Puis-je descendre ? Il voudrait me parler. Je m’en doute. Il y a plus de dix jours que la note traîne sur ma table. J’aurais dû lui en toucher un mot le premier, par délicatesse, pour le rassurer. La femme de chambre qui est venue me faire la commission me regarde apitoyée. Ne vous retournez pas les sangs, ma brave dame ! Ça devait finir par là. Nous y sommes. J’aime presque mieux ça. Allez lui dire que j’arrive immédiatement. S’il me fout à la porte séance tenante, ce qui est parfaitement son droit, où vais-je encore m’aventurer ? Ce sera comme les fois précédentes. Je m’en irai léger, flairant le vent.
    Le taulier est au pied de l’escalier.
    À son air affligé, je traduis qu’il n’a pas l’intention de se montrer coriace. Nous entrons dans la cuisine. Il semble plus gêné que moi. Bedonnant. Rondouillard. L’œil bleu vague sous le sourcil roulotté. D’un ton conciliant, tout de suite. À une certaine sympathie pour moi et comprend fort bien ce qui se passe. Il ne m’en veut pas. C’est un homme calme, attentif. Qui voit un peu plus loin que le tiroir-caisse. Malheureusement, l’hôtellerie n’est pas lucrative et chacun doit défendre son croûton. Il me propose une semaine de sursis et, s’il ne se présente rien de neuf pendant ce délai, nous nous séparerons quand même bons amis. Son gosse joue avec ses soldats de plomb alignés en rangs sur les rayures de la toile cirée.
    Au lieu de me démolir comme je m’y attendais, cette conversation d’homme à homme aurait plutôt l’effet contraire. L’émotion me monte à la gorge. Je voudrais lui dire que ce qui est important, c’est qu’il se soit adressé à moi avec confiance. En laissant la porte ouverte . Je me promets de passer en personne lui remettre mon livre si le miracle de la parution se produit avant que nous soyons tous deux à dix pieds sous terre. Ce jour-là, nous trinquerons ensemble et nous pourrons même aller casser la graine au restaurant de la rue où, par parenthèse, le cuistot italien fricote le lapin comme personne. Hypothèse qui suffit à me ramollir la veine sentimentale, telle est ma nature.
    Je broche sur le thème en réintégrant ma piaule là-haut au sixième. Comme si tout était rentré dans l’ordre et le lapin déjà servi sur la table dans sa cocotte de fonte, odorant de bonne sauce au thym. Les gestes d’affection qu’on aimerait faire, sur le moment, pas le lendemain, pas dans dix ans, tout de suite, quand le cœur y est. Dire à cet homme simple : « Vous m’avez fait du bien en me parlant de la sorte, je ne l’oublierai plus. Alors, venez, je vous invite, nous allons partager le pain et le sel, je suis sûr que nous pouvons nous comprendre et que l’heure que nous passerons ensemble autour d’une table sera aussi profitable à l’un qu’à l’autre. Que diriez-vous du civet de l’italien ? »
    Ceinture en guise de civet. Un sandwich ce soir et au mieux un autre demain. Je cherche du doigt dans le cendrier. Les mégots ont presque tous été rallumés plusieurs fois. Chaleur à crever sous les toits. La flotte ne va pas tarder. Je me mets à la fenêtre. Le ciel comme une éponge noire. Pas le moindre filet d’air. Atmosphère en suspens. Ça rabat une lumière terne sur la rue, sur les façades grises des immeubles d’en face. Quelques pauvres fleurs aux fenêtres qui se dessèchent dans des caisses. Le crépi s’effrite. Pisseux, un trou

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