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Septentrion

Septentrion

Titel: Septentrion Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Louis Calaferte
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part encore. Dans mes chambres d’hôtel généralement grandes comme des mouchoirs de poche et encombrées des meubles de première nécessité, inutile d’envisager une installation qui, de près ou de loin, ressemblât à un bureau. Le fouillis. Le désordre. Les rangements à la sauvette. J’avais toujours vu mes livres et ma paperasse entassés sur un coin de table ou sur une étagère d’armoire, quand ils n’étaient pas simplement empilés dans une valise poussée sous mon lit pendant le jour pour faire de la place.
    Me représenter le bureau que j’aménagerais si j’en avais un jour les moyens faisait partie de ma clef des songes secrète. À force d’y penser, d’y rêvasser des heures entières, j’en avais dressé le plan avec un soin minutieux comme si je n’attendais plus que le décorateur. Les livres seraient arrangés de façon à presque m’entourer à ma table de travail. Les auteurs que je tenais en haute estime placés à ma droite sur la longueur du panneau mural. En face de moi, tout ce qui avait trait à l’occultisme, à l’astrologie et à l’enseignement des doctrines théosophiques ou mystiques. Saint-Martin, Grillot de Givry, Boehme, Gébelin, Guaita, Krishnamurti et consorts, le Sepher Ha-Zohar et son frère de lait, le Sepher Ietsirah, saint Augustin, Thomas d’Aquin, Pascal l’ambivalent, et aussi Gandhi, et aussi les douces divagations de Steiner et d’Ivanov. Une large place réservée aux mémoires ou aux œuvres de caractère autobiographique pour lesquels j’avais une faiblesse marquée. Sade, bien sûr. Et Casanova. Nerval. Rousseau. Lautréamont. Silvio Pellico. Et même Restif de la Bretonne, annoncé par les fonctionnaires scrofuleux préposés à la rédaction du dictionnaire de langue française comme : « Mauvais, mais très fécond romancier ». Nerval ayant droit à cette phrase laconique : « Mena une vie errante et bizarre ».
    Tous ces brandons resplendissants dans l’éternelle nuit des hommes. En allongeant le bras, je pourrais ramener Maupassant, ou Blake, ou le cher Antonin Artaud, Corbière, Lorca, ou les volumes de lettres de Flaubert que je ne me lassais pas de lire et de relire depuis des années. Grâce à eux et à d’autres, grâce à ces livres l’orgie commencerait pour moi. Une orgie permanente. À la dimension cosmique. Vague et précise à la fois comme un scintillement d’étoiles par une soirée d’août. Qui vous instille dans les veines un feu de mercure propre à vous consumer des pieds à la tête jusqu’à la dernière parcelle de chair vivante, pensante, car les grands écrivains ont ce pouvoir de vous administrer les saints sacrements cent fois dans votre vie avec résurrection garantie à l’autre bout du corridor. Les espaces libres sur les murs seraient décorés de reproductions d’œuvres que j’aimais. Une reproduction d’un tableau par peintre choisi, sélectionnée selon mes préférences parmi celles que j’avais remarquées sur les planches en couleurs des livres consacrés à l’art. Galerie intime qui dirait mieux que des centaines de pages de froide analyse ce que j’étais réellement sous l’écorce de l’âme.
    Dans ce bureau imaginaire, je me voyais toujours bossant comme un nègre, huit, dix heures par jour, abattant régulièrement mes dix pages d’affilée, sollicité, stimulé, soutenu par tous ces écrivains, tous ces peintres de renom disposés en carré de bataille autour de moi. Carré magique. (Quel était le bon génie compréhensif qui avait réglé la quittance du loyer pour trois mois et fait emménager le mobilier indispensable ? That is the question. Que j’évitais de me poser.)
    Ainsi, me prélasser dans le bureau d’un autre, même s’il ne correspondait pas exactement à l’image originale, m’emplissait d’une joie calme, ample, véritablement profonde et heureuse. J’avais l’impression de me tenir au bord d’une rade magique dans les landes d’Uroboros, le vent marin titubant à mes oreilles.
    Fleur de rhétorique, mon gars ! Prends plutôt la brosse à chiendent et frotte un grand coup, ça fait circuler le sang !
    La maîtresse de céans, elle, voyait les choses d’un autre œil. En femme positive. Gente tarentule du foyer m’observant de ses huit yeux à facettes. Avec mon air de ne pas y toucher, allais-je finir par envahir tout l’appartement ? Le bureau de son mari pour commencer. En quel honneur ce privilège ? Mon couloir ne me

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