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Septentrion

Septentrion

Titel: Septentrion Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Louis Calaferte
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reçue pour ce qu’elle était, une manière d’excuse élégamment formulée. Le soir même, mon bouquet se trouvait à la place d’honneur sur la desserte de la salle à manger.
    Le peu de ressentiment qui traîna ensuite jusqu’à mon départ de chez eux entre Simone et moi ne fut, je crois, véritablement perceptible que de nous deux. Une flèche dans son regard, parfois. Rapide. Ou, au milieu d’une conversation, une allusion vague à la fougue que je mettais habituellement à défendre mes convictions. Rien de plus. Je suis sûr que Gaubert, ravi de l’entente qui régnait, n’y vit jamais malice. Fine mouche, la petite bourgeoise. Ne devait pas manquer de mordant à l’occasion. Tempérament de garce domestiquée. C’est ce que j’avais retenu de la leçon. Autant se concilier ses bonnes grâces et faire en sorte de ne pas l’encombrer trop.
    Tombait au poil d’ailleurs. Je commençais de m’encroûter dans leur berceau de famille. Lire, fainéanter, traîner mes savates dans l’appartement résumait l’essentiel de mes occupations de la journée. Je finissais obligatoirement par déboucher sur la cuisine où Simone se tenait la plupart du temps, raccommodant, repassant le linge, préparant le goûter de sa fille qui allait rentrer de l’école, surveillant le lait à bouillir, épluchant les légumes pour le soir, donnant un coup de balai, essuyant, frottant, astiquant, lustrant, sans une minute de répit, plumeau, chiffons, son matériel éparpillé autour d’elle. Femme d’intérieur , pas de doute ! À vous foutre le tournis. Ne prenant même pas le temps de lever le nez quand j’apparaissais. Difficile dans ces conditions d’axer sur un sujet et de réussir à faire palpiter la conversation. En face d’elle, souris industrieuse continuellement à trottiner des deux pattes, ici, là, un petit coup sur une tache, elle grimpe sur la chaise, en redescend, voulez-vous me passer l’éponge là-bas, merci, est-ce qu’on dirait que j’ai fait la poussière à fond avant-hier, c’est infernal, et il y a une toile d’araignée là-haut dans le coin, vous la voyez, on n’arrive pas à se débarrasser de ces sales bêtes, même dans une maison bien tenue, excusez-moi, je vais chercher la tête-de-loup – merde ! Mieux valait laisser choir et retourner dans mon coin en compagnie de Kierkegaard le Viking émasculé et me farcir une de ces pages dans la tournure ésotérique qui avaient le don de me peloter agréablement les nerfs. Ce passage, tout particulièrement, que j’avais appris par cœur malgré la difficulté, peut-être parce qu’il me semblait en rapport avec ma situation de l’heure, et que j’aimais me réciter à mi-voix lorsque je me sentais défaillir d’ennui, reclus dans mon couloir : « Dans la forêt de Gribskov se trouve un lieu qui porte le nom de « coin des huit chemins » ; seul le trouve celui qui le cherche avec beaucoup de soin, car aucune carte ne l’indique. Son nom même semble renfermer une contradiction, car comment une rencontre de huit chemins peut-elle constituer un coin, comment les voies publiques, des voies fréquentées peuvent-elles se concilier avec un site isolé et caché ? Ce qu’un solitaire évite reçoit déjà son nom de la rencontre de trois chemins : la trivialité ; alors, combien plus triviale encore doit être la rencontre de huit chemins ? Il en est pourtant ainsi : il y a réellement huit chemins, mais, malgré cela, quelle solitude ! perdu, dérobé en secret, on se trouve, là, tout près d’un enclos qui s’appelle l’« enclos fatal ». La contradiction du nom rend seulement encore davantage le lieu solitaire, comme toute contradiction rend solitaire. Les huit chemins et le trafic intense ne sont qu’une possibilité, une possibilité pour l’esprit, car personne n’y vient, sauf un petit insecte qui se dépêche lente festinans pour traverser le coin ; personne ne s’y aventure, sauf ce voyageur errant qui, sans cesse, regarde autour de lui avec le désir, non pas d’apercevoir quelqu’un, mais d’éviter tout le monde ; ce fugitif qui, dans sa cachette, n’éprouve même pas le désir qu’a tout voyageur de recevoir des nouvelles de quelqu’un ; ce fugitif que seule atteint la balle mortelle qui explique bien pourquoi un silence de mort règne autour du cerf, mais non pas pourquoi le cerf était si agité ; personne ne fréquente ce lieu sauf le vent, dont on ne sait d’où il vient ni où

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