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Septentrion

Septentrion

Titel: Septentrion Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Louis Calaferte
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suffisait-il pas ? N’en fiche pas une rame de toute façon. Somnole, bouquine, se laisse vivre, grille cigarette sur cigarette et vient faire un tour à la cuisine au milieu de l’après-midi dans le cas où il y aurait quelque chose à consommer. Parasite-né. J’avais fait mes preuves.
    Cette histoire de bureau la chiffonnait. Sentiment d’usurpation ou je ne sais trop quoi. Chaque fois que je m’y installais dans l’idée de m’accorder un bon après-midi de relâche comme j’en avais envie, ça ne ratait pas, j’étais sûr de la voir se radiner dare-dare, en catimini, moelleuse à l’excès, comme pour mieux me faire comprendre que j’étais la cause directe de ces accrochages entre nous. Désolée, mais comment faire autrement, puisque je persistais à me trouver aux endroits où je n’aurais pas dû être ? Elle frappait à la porte, passait le museau. Pouvait-elle me déranger un instant ? Avait besoin d’une enveloppe, manquait d’encre ou de papier à lettres. À moins que ce jour-là, comme par un fait exprès, elle n’eût justement projeté d’entreprendre le nettoyage en grand. Si je le désirais, je pourrais revenir m’asseoir et bramer à la lune dès qu’elle en aurait terminé avec le plumeau et la balayette. Mais comment donc ! Je repasserai sans faute le lendemain matin au déluge voir si tout est en place. En attendant, je vais faire une virée chez mes petits acolytes les poissons-scies. Salut bien !
    Le maigre sourire qui se dessinait, estafilade sur ses lèvres, en disait long à lui seul. Une façon polie de me renvoyer à ma niche. Qu’est-ce que cela pouvait bien lui foutre de me laisser savourer quelques heures de tranquillité tête à tête avec mes idées vagabondes ? Mystère, mais toujours est-il que par ses manigances, préméditées ou non, elle réussissait à faire naître chez moi peu à peu une drôle de sensation de culpabilité. Climat de gêne à vous couper la chique. N’aurait-on pas dit que je me conduisais comme un profanateur de première classe ! Lubie de gonzesse. Me savoir seul dans ce bureau devait être au-dessus de ses forces. Physiquement intolérable. Il fallait qu’elle vienne faire son tour, qu’elle entre, qu’elle soit là, qu’elle m’ait à l’œil. Surtout ne pas me lâcher pendant mes stations dans le sanctuaire. À bourdonner dans mes parages avec tant d’insistance éloquente qu’au bout d’un moment je prenais de moi-même le parti de décamper. Tête de mule comme je l’étais, il tombe sous le sens que je me serais fait une joie de l’envoyer chier sans ménagement. Mais mon intérêt le plus immédiat me conseillait une exceptionnelle souplesse d’échine. Pas de pétard. Je suis du bois dont on fait les flûtes. À quoi m’aurait servi d’engager les hostilités sur ce front du moment qu’elle avait résolu de délimiter des zones interdites dans l’appartement ? Gardons les distances !
    Vous n’aurez pas ma peau, fillette, si c’est cela que vous espérez. D’autres avant vous s’y sont essayés et y ont perdu leur latin, j’aime autant vous prévenir tout de suite. Le cuir tanné. Rhinocéros centenaire. Il faudrait me toucher entre les deux yeux. Ni trop haut ni trop bas. Voyez le boulot ! Admettons même que demain vous me reléguiez dans le grenier ou dans la souillarde, sur un grabat, je serais encore capable de vous baiser les pieds en criant au miracle. Miracle d’être casé. De bouffer votre pain. De salir vos draps. J’ai une telle dose de candeur en moi qu’aucun revers ne m’enlèvera ce sentiment d’être un perpétuel miraculé. Veillé d’En Haut par Sidonie Malavoine, patronne des scolopendres déshérités.
    Naturellement, le grain de folie qui métamorphose les existences les plus mornes et apporte un baume efficient aux emmerdements faisait cruellement défaut dans cette famille, mais, en revanche, on restait comme fasciné devant cet admirable effort de continuité mené de front par un type et sa bonne femme d’épouse, jour après jour, semaine après semaine, et foutre de garce il n’y avait pas de raison pour que cela prît fin avant leur dernière heure sonnée au tocsin de la paroisse.
    La vie sous cette forme, uniquement ponctuée par les heures fixes des repas, la trêve des dimanches et de temps à autre quelques expéditions au-dehors en corps constitué, revêtait pour moi un caractère presque sacré, presque mythique. Du diable si je n’avais pas par

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