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Septentrion

Septentrion

Titel: Septentrion Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Louis Calaferte
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plus ronds, les plus gros, veloutés, pesants, à point pour le repas suivant. Rayon des boissons, un régiment de boîtes de jus de fruits montait la garde autour de la bière, des sirops de luxe, des eaux pétillantes qui précédaient les bouteilles d’apéritifs. Le caisson du bas était réservé aux légumes. Tomates, endives, salades, aubergines, poivrons, choux-fleurs, tout ce que la terre généreuse produit sous toutes les latitudes, même aux pires saisons de froidure. Nora ne faisait pas cas de ces vétilles et entendait servir à sa table melons ou concombres à toute époque de l’année. Les œufs du jour faisaient la haie dans les ornières de la porte. Façade de victuailles bien portantes, comme une planche décorative en couleurs. En ce temps-là, qu’il s’agît de n’importe lequel de mes amis, nous n’avions jamais devant nous de quoi assurer un seul repas d’avance. Pour ma part, je jubilais quand j’arrivais à avoir assez d’argent pour acheter trois ou quatre boîtes de sardines et un saucisson que je fourrais sur un rayon de l’armoire dans ma chambre en me promettant de n’y pas toucher avant d’être à fond de cale. Cette foutue grognasse allait donc ingurgiter tout ça, dix fois ça, cent fois ça ! Une tranche de rumsteck, bleue et sur le gril, je vous prie, quelques olives pour commencer, pain de seigle, beurre salé, des crudités, des entrées froides, un entremets, les fromages, les desserts et un bon café pour faire glisser. Le réfrigérateur allait donc se vider et se remplir. Comme une poche d’air. À l’infini. Mangeait-elle chaque chose séparément ou liquidait-elle en une fois le contenu, bouche ouverte, engloutissant du même coup les emballages en supplément ? Zunck !
    Le rite quotidien du petit déjeuner absorbait une bonne partie de la matinée lorsque j’avais passé la nuit à la maison, ce qui, contre mon gré, se produisait de plus en plus souvent, car, sorti des jeux et ris qui occupaient la plupart de nos soirées et de nos nuits, cette femelle ardente avait le don de me taper sur les nerfs.
    Je m’étais rapidement aperçu que nous n’avions pas un seul goût, pas une seule idée en commun. Ailleurs que dans un lit, la conversation se révélait difficile, pour ne pas dire insoutenable. Son esprit biscornu descendait en droite ligne des temps mérovingiens, étroit, mesquin, prenant en considération ce qu’il est convenable de faire et de ne pas faire, de dire et de ne pas dire, même si l’on meurt d’envie de ne parler que de cela. À propos du sexe notamment. La moindre allusion au sujet la faisait bouillonner d’aise du haut en bas, cela équivalait à craquer une allumette au-dessus d’un dépôt de mélinite. Le mot « sexe » lui-même avait sur elle l’effet d’un bol de vitriol dont on lui aurait à distance badigeonné le bas-ventre. Il suffisait d’une petite discussion d’un quart d’heure pour la mettre en train, chaude et moite comme une serviette de coiffeur, mais elle simulait la pudeur quand on branchait sur la question. Absence de maintien de votre part, voilà ce que suggéraient sévèrement son regard, ses lèvres pincées et le geste qu’elle avait, vous invitant à ne pas insister davantage. À peine si elle ne se signait pas en entendant certains mots qui étaient aussi courants dans mon langage que bonjour et bonsoir. Dès que j’amorçais sur le thème, elle mettait le paravent, mais c’était une vraie jouissance de sentir chaque mot la pénétrer, chaque image lui glisser sur la peau comme un cube de glace et aller se dissoudre lentement au bon endroit.
    Le plus clair de nos entretiens se bornait à des descriptions du pays de son enfance. La vie qu’elle avait eue là-bas avant de venir se faire sabrer en France bon poids bonne mesure. Pas folichon d’après ses dires. Des souvenirs sur son mari qui l’avait laissée tomber pour une raison qu’elle n’expliquait pas. Devait avoir marre d’elle, c’est tout. S’était arrangé pour lui faire servir une pension trimestrielle. Curieux type à l’en croire. Ne crachait ni sur la bouteille ni sur les femmes. Disparaissait des semaines entières sans qu’on pût savoir où il passait. Revenait de même et se remettait au boulot dare-dare. À part les souvenirs conjugaux ou autres, nous ne trouvions pas grand-chose à nous raconter. Terrain sec. On lanternait sur des amis à elle que je ne connaissais pas, sur les miens, sur la mode, et

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