Septentrion
que jamais du divin qui sommeille en nous ? Et puis quoi ! tout se termine quand même dans la région des couilles !
J’allais me passer la queue sous le robinet si ce n’était déjà fait, et j’en profitais aussi pour chier à l’aise sur le siège de la salle de bains en mosaïque vert Nil. Décor idéal pour mener à bien ce genre d’affaire. J’y attachais d’autant plus d’importance que les chiottes de mon hôtel puaient le moisi et le vieux déchet. Je me rhabillais, picorais en passant quelques grains de raisin muscat dans une corbeille sur la commode, je palpais les billets dans ma poche, histoire de vérifier si je ne manquerais de rien jusqu’au lendemain – et trotte petit homme ! Dernier patin glissé en hâte entre les lèvres ouvertes de Mlle Van Hoeck qui en profitait, à poil sur le lit, pour me tripoter encore un peu entre les cuisses par-dessus le pantalon, me pressant le chose une dernière fois, nostalgique, ou me saisissant la main et la posant sur ses poils en guise d’adieu provisoire. Je faisais aller mon index sans conviction, par souci de politesse, évitant surtout le clitoris qui eût tout remis en question.
— Dormez bien, chérie. À demain.
Et que la vérole te dévore, toi et tout le tremblement !
Je quittais l’appartement au pas de course. L’esprit délesté. Retrouvant autour de moi la rue vide. L’air neuf de la nuit. Contraste salubre avec la moiteur parfumée de la chambre. J’excluais d’un coup de ma pensée Mlle Van Hoeck et son sexe furibond comme si ni l’un ni l’autre n’avaient jamais fait irruption dans ma vie.
Extraordinaire cette faculté que j’avais de l’oublier presque totalement aussitôt que nous nous séparions. J’avais l’impression qu’elle appartenait à une époque antérieure de ma mémoire. Quelque chose comme une goule du sexe. La dernière soirée que nous avions passée ensemble se situait, me semblait-il, à la limite des vastes forêts de l’hibernation toujours plaintives sous les rafales de bourrasque, dans l’hinterland nuageux. L’endroit même où séjournaient pour moi tous les personnages de Strindberg, de Tchekhov, ceux de Synge, Ibsen et son fils chéri Oswald Alving, Elsa aux yeux d’eau morte nénuphar, et Meaulnes l’étranger, une lampe-tempête à la main, cherchant passage dans la lande. Pays de somnolence abrupte. Mlle Nora sur le toit du donjon brandissant chaque nuit une torche mâle à l’intention des voyageurs trompés par la tourmente. Si l’on réussissait à contourner la ravine, les verts pâturages s’étendaient devant soi à perte de vue…
Où êtes-vous, Nora d’Amsterdam, dans ce conflit des épouvantes ? Mille pardons, j’ai dû vous oublier au fond de la galerie des cires.
Si je n’avais rien de mieux à faire en sortant de chez elle, j’entamais une promenade nocturne, quelquefois jusqu’au petit matin, allant droit devant moi où me portaient mes pas, déambulant dans les quartiers de la ville que j’aimais pour leur poussière de tristesse engourdie tissée fil à fil de maison en maison.
Petits quartiers de pauvres. Mal fichus. Blottis. Toujours quelques persiennes déglinguées. Quelques lézardes dans le crépi des façades. Toilette mortuaire sur la peau nickelée d’un cadavre ancien. Impression d’immense fragilité. Et derrière les murs, des hommes qui reposaient. Un ronflement, parfois, qui enjambait une fenêtre ouverte, cabossait l’obscurité. Des pleurs d’enfant, réguliers, persistants, échappés à l’aveuglement de la nuit, loin, loin, comme coulés dans l’épaisseur même des murs au fond de cette enveloppe de ciment et de pierres. Écho rebondissant d’une porte d’entrée fermée quelque part par une main invisible. Les bruits passent par la caisse de résonance. Je m’effaçais sur le silence. Ligne métallique des poubelles de guingois au long des ruelles étriquées. Comme des chapeaux difformes mis en place avant que ne s’allument les feux de l’illusion. Haie de parade d’un monde de détritus, sur chaque trottoir, des deux côtés. Rues trempées de sommeil, décalquées sur le noir. Architecture indécise d’après la fin des siècles. J’aimais cette paix légère. Galon de nuit. J’aurais pu être le dernier survivant valide à la suite du cataclysme sidéral. Peut-être allais-je tomber au tournant de la rue prochaine sur un tas de noyés parmi lesquels je reconnaîtrais infailliblement le corps mutilé de
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