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Septentrion

Septentrion

Titel: Septentrion Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Louis Calaferte
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vite, avalé par le brouhaha sourd, se casse, épongé. Du sous-sol où se tiennent les cuisines et les chiottes monte l’odeur de friture et d’urine amère. Serveurs harassés. Le sommeil déréglé inscrit sous les yeux. Lourdeur lente des regards. La fatigue pénètre les corps comme une pluie fine. Le vendeur de journaux passera plus tard, la pile de feuilles retenue dans son bras plié. Pétrole des lettres d’imprimerie. Pendant tout ce temps de la nuit, le monde a vécu d’un pôle à l’autre. Les drames humains ont été consciencieusement répertoriés. Chacun peut lire dans les colonnes nécrologiques que cette nuit un certain nombre d’hommes a passé l’arme à gauche. Pépère. Sans bruit. Sur un lit d’hosto. C’est rédigé en petits caractères à tant la ligne. Classé par arrondissement. On apprend que la famille Habens déplore douloureusement le décès prématuré d’un représentant de commerce père de quatre enfants mort au champ du travail entre Roubaix et Calcutta, ayant avalé par distraction sa carte d’échantillons de boutons fantaisie en lieu et place du sandwich à la moutarde que sa petite épouse émue lui avait préparé de ses mains. De ses mains si chouettes, si branleuses, qui, avant-hier encore, lui massaient la queue sous les couvertures avant de dormir. C’en est fait du voyageur. De sa lassitude. De ses bordereaux de vente. De son boniment. De sa clientèle aride, méfiante, dure à la détente. Et de sa queue aussi, c’en est fait, bien sûr, elle est incluse dans la mort. Il ne reste vraiment plus que sa petite femme éplorée et quelques boutiquiers avares pour se souvenir de lui. S’est tiré des pattes à l’heure dite. Peut-être pas mécontent. La camelote s’écoulait mal ces temps derniers. C’était un boulot médiocre. Ingrat. Loin des siens le plus souvent. Ce qu’il aurait aimé au contraire, c’est la vie de famille, la soupière fumante, la soirée devant l’âtre, la pure entente des joies communes. Au lieu de cela, les hôtels froids, les routes de nuit, l’itinéraire, la maigre chère, la solitude. Ça n’arrivera donc plus. Ses responsabilités s’éteignent avec lui. La mort est avantageuse vue sous cet angle. Il est clamsé à moins de cinq cents kilomètres de moi qui m’attendrissais sur un morceau d’excellent munster enrobé d’une couche de cumin. J’aimerais bien voir sa tête. De quoi il avait l’air de son vivant. Pourquoi pas la photo du type, puisqu’on se donne la peine d’écrire son nom ? Un nom, c’est si sec. Ça ne révèle rien. Avec le portrait, je pourrais me faire une opinion. Deviner à peu près comment il a dû prendre la chose. On devrait mettre aussi en médaillons les gueules de toutes les familles. Ça renseignerait sur la vie du défunt. Imaginons que je crève aujourd’hui même et qu’on m’associe à la petite Nora dans le journal : ça ferait comprendre aussitôt par où j’avais dû en passer. Édifiant pour la galerie.
    Buvons un verre à la santé de cet honnête commerçant inconnu qui commence à se décomposer dans sa bière, entouré de l’affection posthume des siens. Il fait encore nuit et l’enterrement n’est que pour demain dix heures en la sainte chapelle des Exorcisés. À quand ton tour, gamin ? Qu’importe ? Dieu est partout. Sait tout. Voit tout. Il m’aime tel que je suis et partage avec moi la portion de munster coulant dont je disais à l’instant qu’il était succulent sous sa petite coquille pointilleuse de graines de cumin frais.
    D’après ce que je peux lire à la page des informations générales, il y a bien du délire du côté de Sumatra. Crimes. Atroces bêtises. Politiques ou militaires. Processions de conneries du type remises de médailles pour assassinats patriotiques. Bien des malheurs de toutes sortes dans la bonne ville de Pénopoa. Des flopées de syphilitiques qui attendent en groupe à la porte des hôpitaux l’arrivée du professeur de service. La chambre à gaz, la potence, la guillotine, le poteau se préparent dans la cour des prisons pour tout à l’heure. Dans cinq minutes. À la montée du jour. Et mes frères humains qui n’ont pas eu toute la chance désirable vont y laisser leur trouille et leur merde d’existence ballottée à vau-l’eau. Il y a bien des désastres autour de nous. Ce qui n’empêche nullement que le type en gabardine et chapeau mou vient de faire tilt à la machine à sous entre les jambes de la

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