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Septentrion

Septentrion

Titel: Septentrion Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Louis Calaferte
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présente est irremplaçable. Il faut la vivre intensément. La marquer au fer rouge dans la mémoire.
    Sur une étagère, il y a un bibelot de petite taille que j’aime tout spécialement. Une licorne de bronze, grossièrement sculptée, comme par un amateur malhabile dont l’idée première eût été de faire un diplodocus qui, peu à peu, se serait amenuisé sous le ciseau. L’angle de la lumière dans la pièce donne comme un aspect de vie à ce petit animal de légende. De vie brutalement stoppée. En plein essor. L’ombre s’applique, creuse les muscles des cuisses qui ont ainsi l’air d’avoir frissonné une dernière fois de réchauffement de la course avant que la mort les paralyse. Ce que j’aime tant dans cet objet c’est le symbole de l’élan foudroyé par une force incommensurable. Qui a été assez fort pour mettre la vie en veilleuse ? Le parallèle avec ma propre situation me paraissant lumineux. J’aime l’idée que cette licorne ait interrompu sa chevauchée pour venir, comme moi, garnir une étagère de l’appartement Van Hoeck. Nous savons confusément que notre présence ici n’est qu’éphémère. Il suffirait d’un nouvel éclairage et les muscles se tendraient sous la peau, le sang se remettrait à circuler, à inonder le cœur, l’œil à guetter les dangers des espaces libres, les naseaux humides se pencheraient d’eux-mêmes sur la terre molle, lourde, retrouveraient les fraîches odeurs d’avant la mort, nous nous mettrions une touffe de thym bleu sur la langue et, tête baissée, la corne pointée vers ce dégueulis écarlate du soleil matinal, nous ferions feu des quatre fers, fous, ivres, battant la terre de nos sabots.
    Malheureusement, personne ne songe à déplacer la lampe. La clarté de ce salon semble réglée de temps immémorial. Restons en place. Pattes écartées. La licorne de bronze sur son étagère, moi dans mon fauteuil. Tassés sur nous-mêmes jusqu’à retrouver les proportions exactes de nos fœtus respectifs. Nora en fait autant dans son coin. Soirée fœtale à trois personnages. Il n’est pas exclu que sur le coup de minuit nous roulions tout doucement vers le trou noir de la cheminée que nous reconnaîtrons comme étant notre vieil emballage matriciel. Peut-être alors pourrons-nous, à ce stade de la soirée, engager à mi-voix une discussion sur le thème obsédant de notre naissance prochaine. Du point de vue de l’ovule et du spermato réunis. Propre à chambouler nos vieilles conceptions d’adultes.
    Mais quand sera-t-il minuit sur le monde ? Il y a de fortes chances pour que nous ne le sachions qu’après le douzième coup. Toujours trop tard.
    Pourquoi diantre se préoccuper de l’heure puisqu’elles se ressemblent entre elles à s’y méprendre ? Il ne peut être que l’heure de manger, l’heure de sortir pour aller manger, l’heure de rentrer le ventre plein, l’heure de la digestion, et ainsi de suite. Décrochez le soleil-ersatz. Dorénavant, nous vivons au rythme intestinal, intermèdes génitaux inclus, le sexe n’est-il pas le prolongement et l’embouchure d’un autre boyau ? Nous nous suffisons à nous-mêmes en tant qu’entrailles carnivores.
    C’est au cours de soirées comme celles-ci que je prends vraiment le temps d’observer Nora. Grasse. Ridée. Un peu obscène aussi, je ne saurais dire en quoi, cela tient à sa nature. Le goût du vice et du plaisir, la passion du sexe sont imprimés, ancrés sur ses traits affaissés. Comme une bave cristallisée dans la peau en refroidissant. Je sais, moi, comment ses yeux s’ouvrent, luisent, s’élargissent sur une pointe de feu quand le désir la travaille. Regard ventral. Regard de sécrétion chaude. Visage vivant du sexe. Visage du sexe à découvert. Dégueulasse et excitant. La suivre équivaut à marcher au bûcher. Zone infernale des ensorcellements. Elle incarne la splendide laideur de la débauche vécue de degré en degré jusqu’à sa propre perdition. Dans ce sens, elle est belle. Fascinante. Le luxe dont elle s’entoure lui confère une sorte de grandeur, de majesté religieuse. Manteau de pourpre et d’or. Page favori, je porte la traîne dans les cérémonies clandestines de nos accouplements. Par privilège spécial, j’ai donc droit, moi aussi, à la communion des richesses. Bon Dieu ! si je l’aime dans ces moments-là, seul avec elle au fond de la pièce bien propre, bien ordonnée. Si seulement elle était un peu différente de ce

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