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Septentrion

Septentrion

Titel: Septentrion Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Louis Calaferte
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insaisissable, une lenteur qui m’a l’air d’être calculée. D’habitude, pendant qu’elle exécute ce petit ballet de toilette vespérale, je me tiens à poil sur le lit où je suis censé l’attendre impatiemment, songeant naturellement à des foules de choses aussi peu en situation que la science ontologique ou la loi des correspondances. Répondant d’un mot vague à ses propos plus ou moins érotiques qui lui sont directement inspirés par la vue du plumard et moi dessus nous reflétant dans le miroir de sa coiffeuse. (Notons que dans cette chambre, la disposition du mobilier, le sujet des gravures, le choix des tissus, tout converge vers ce but unique : l’omniprésence du sexe.)
    Les choses traînent en longueur ce soir. Elle n’a pas prononcé un mot depuis que nous sommes de retour. N’a pas paru remarquer que je restais habillé. Par pure courtoisie, je refoule une envie de bâiller à m’en décrocher les mâchoires. Qu’elle ne puisse prendre ce prétexte pour allumer la mèche. Le terrible avec ce truc-là, c’est que plus on essaie de lutter contre, plus ça vous travaille. J’ai sommeil, voilà tout. Trop bouffe. Terrine de lièvre à l’armagnac. Le légume de saison. Le coq de bruyère sauté chasseur. Un vieux vin blanc en contrepoint. Vouvray, autant que je me rappelle, mon faible. Bouffe trop, bois trop, dors trop, baise trop – par découlement. Mais aussi loin que je remonte en ma mémoire, je suis forcé de me reconnaître une attirance pour la bonne chère et les libations. Et le même mode d’investigation me prouve clair comme le jour que je n’avais encore jamais si parfaitement festoyé. Du moins pas avec une telle régularité. Nora a le don de mettre dans le mille sur une carte de cinquante plats. Peux lui faire confiance une fois installés à table.
    Nora, qui se démaquille. En silence. Tendue, semble-t-il. Qu’elle se décide et qu’on en finisse. Je ne vais pas passer la nuit à la regarder se masser le gras des joues. Me prend pour qui ? Je suis bien bon, moi, de patienter, de lui faciliter la tâche. Je me tire, et à la revoyure ! Demain, elle aura digéré son mutisme. Nous nous retrouverons frais et dispos.
    Décharge fulgurante d’un éclair. En plein dans le crâne. « Si elle ne dit rien, c’est que ce qu’elle a à me dire n’est pas commode à sortir. »
    Cette pensée, toute de bon sens, s’impose à moi avec la netteté d’un cliché. S’agit plus de badiner. Plus d’amour-propre. Je hume le danger. Pour le coup, les lourdeurs et le sommeil s’évanouissent comme par enchantement. Je crois me rappeler avoir éprouvé exactement le même malaise suivi du même réveil en fanfare de toutes mes facultés lorsque, à deux reprises différentes, des contremaîtres étaient venus m’annoncer qu’on me demandait d’urgence au bureau du personnel pour être saqué prompto. Va me donner mon congé, la vache. C’est là la clef du mystère. Actuellement, elle doit brasser ça dans sa tête. Chercher un biais. Le moyen d’adoucir la rupture. Dire que j’étais à cent lieues de subodorer quoi que ce soit ! Nom de Dieu ! si elle me joue ce tour, à moi, je ne sais pas ce que je fais, mais je m’arrange pour lui laisser un cuisant souvenir. Je ne ferai rien du tout, voilà ce que je ferai. Rien que lui mendier des explications, pourquoi, comment, la supplier de réfléchir encore un peu, de comprendre, de remettre sa décision à plus tard. J’imagine que si elle m’envoie paître, elle a déjà dû prendre ses précautions, choisir mon remplaçant. Ce n’est pas incompatible ! Je veux bien qu’on soit deux, qu’on soit dix, qu’on soit douze. Tout un harem. Pourvu que je reste en place. Je peux toujours lui proposer cette solution.
    Je décolle du fauteuil. Marche en rond dans la chambre. Je la guette du coin de l’œil. Impassible, elle, la putain ! Se pomponne. Tapote ses tempes du bout des doigts. Muette. Elle le fait exprès ou quoi ? Que vais-je trouver à lui objecter qui tienne à peu près debout le moment venu ? Retourne me poser sur le fauteuil. Sur l’arrondi de l’accoudoir. Elle est à un mètre de moi. De profil. La peau dégraissée de tous ses fards. J’entrevois le haut des nichons dans le col bâillant du déshabillé. Sa peau rousse. Lait rouillé. L’accordéon du cou. La joue renflée. Le grand lobe de l’oreille. Moche. Tocard. Vieille croûte. Elle s’arrache un cheveu blanc. Met un temps infini à

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