Septentrion
Dans l’ascenseur, ayant retrouvé le libre usage de mes mains, le moins que je puisse faire pour elle est de lui attraper le minet par-dessus l’étoffe. Elle me facilite la prise en écartant les jambes. Je le tiens ainsi jusqu’à destination, serré dans le creux de ma paume. L’humour de la situation est loin de m’échapper. Je me fais une idée de la gueule des voisins qui nous surprendraient dans cette attitude. Mais peut-être ne sommes-nous pas les seuls à entamer le morceau entre les étages. Pour moi, c’est devenu un réflexe automatique. Comme d’allumer une cigarette. Ascenseur et sexe. Ça la fout dans tous ses états, hyper-moite depuis le début du film, c’est-à-dire depuis plus de deux heures d’horloge, à supposer qu’elle n’ait pas commencé de bander en fin d’après-midi, soit dans la rue, soit à table. Nous échouons généralement devant la porte de l’appartement comme greffes l’un à l’autre. D’une traite jusqu’au lit, et le roulement de grosse caisse ne se fait pas attendre – non sans que, toutefois, j’aie d’abord pris le temps de picorer quelques crudités que Jiecke a préparées sur un plateau, à ma demande. Afin de me munir en petite mitraille…
Distraite, évasive cette nuit-là en rentrant. Le prélude de l’ascenseur ne semble pas lui avoir autrement ouvert l’appétit, ce qui est rare. Plutôt frigide, distante. Renfrognée, même.
Je repasse mentalement en quatrième vitesse tous les événements de la soirée. Qu’ai-je pu faire ou ne pas faire, dire ou ne pas dire qui lui ait déplu ? Je la connais, je sais ce que présagent ses mines austères. Chamailleries et contestations à n’en plus finir. Pompé comme je le suis ce soir-là, je ne me sens guère d’humeur à me laisser embarquer dans une engueulade filandreuse dont elle a le secret et qui risque fort de ne toucher à son terme qu’au petit jour. Ça la prend, de temps à autre. Quand elle n’a pas sommeil, probablement. La nuit entière à battre la campagne. Increvable. Venant me secouer ou me corner aux oreilles si par hasard elle s’aperçoit que je m’assoupis dans un fauteuil. Puis, lorsqu’elle juge que j’ai mon compte, la tête bourdonnante comme un essaim d’abeilles folles, empâté de fatigue, me tenant tout juste sur mes guibolles, c’est le moment qu’elle choisit pour découvrir que je lui fais horreur. Elle ne saurait plus longtemps supporter ma vue sans piquer une crise de nerfs. Elle a besoin de solitude réparatrice, d’une matinée de calme après la nuit abominable que je lui ai imposée.
Sur quoi, je n’ai plus qu’à prendre la porte, me retrouvant comme un petit péteux sur le trottoir, à l’aube, transi de froid et de sommeil, pestant contre cette salope qui m’oblige maintenant à poireauter à la station de taxis déserte à cette heure-là dans ce quartier de bourgeois où personne n’a idée de se lever à cinq ou six heures du matin.
Si elle s’est mis en tête d’engrener la bagarre, qu’elle aille donc réveiller Jiecke et qu’elles règlent ça entre elles. Très peu pour ma pomme. Projet immédiat : me glisser dans les toiles au plus vite, ici ou chez moi. Chez moi de préférence, ça m’évitera d’actionner la dynamo.
Beau me retrousser les méninges depuis l’arrivée, apparemment rien trouvé à me reprocher envers elle de toute la journée. Ai été prévenant, gentil au maxima, gai comme un pinson. Ai même accepté, sur son insistance, le ridicule épouvantable de la prendre dans mes bras et de l’embrasser en pleine rue. Genre de scène qui me fait monter la pudeur au front, honteux, gêné comme un puceau, tellement j’ai l’impression que les passants vont s’amasser autour de nous, crier au scandale, nous conspuer, nous lyncher, nous réduire en miettes, la vieille et moi. La soirée s’est passée normalement. Ciné, retour, rien d’autre. Me sens blanc comme la colombe.
Si ça lui chante de faire la gueule, c’est comme elle veut. Mais nenni pour cette fois, amour ! Vous ne m’y prendrez pas.
Au lieu de me déculotter comme je le fais rituellement chaque soir en rentrant dans la chambre, je m’enfonce dans un fauteuil, cigarette au bec, bien déterminé à foutre le camp dès l’apparition des premières nuées.
Mademoiselle va et vient, quitte ses bijoux, brosse ses cheveux, enlève ses bas, passe le déshabillé, se met à l’aise. Gestes routiniers. Avec cependant une modification
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