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Septentrion

Septentrion

Titel: Septentrion Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Louis Calaferte
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l’employé au moment précis où il a eu cette boîte entre les doigts ? Quel genre de type est-ce ? A-t-il lu, a-t-il seulement entendu parler du dénommé Anton Tchékhov, le petit toubib de la province russe ? Non, il n’y a aucune raison pour qu’il connaisse ce fils d’épicier, puisque moi et des millions de gens à travers le monde qui nous servons d’allumettes ne savons pas et ne saurons jamais comment une boîte est fabriquée…
    Il est rare qu’elle ne se soit pas épuisée pendant que j’accomplissais ce tour de piste dans le vide.
    En principe, je la retrouve assise sur le lit, allumant une cigarette, encore nerveuse, mais ne demandant qu’à se laisser dompter. Si je réussis à glisser une main sur ses cuisses, c’est que nous en sommes à l’épilogue. Nous ne tarderons pas à nous retrouver en position ce flux d’amertume n’ayant jamais d’autre origine que vulvaire. Il me manque juste la dose de dignité voulue pour lui refiler deux ou trois gnons dont elle aurait souvenance. Je serais d’ailleurs curieux de voir comment elle se comporterait si, au lieu de dire amen à ses quatre volontés, je lui appliquais placidement en travers de la gueule une paire de taloches à lui dévisser la tête. Toujours eu comme un regret latent au fond du cœur de n’avoir pas tenté le coup au moins une fois. À froid. Sans me démonter. Zunck !
    Il faut me voir à l’œuvre dans mon numéro. N’oubliant jamais que ma sécurité est en jeu. Je fais de mon mieux pour lui être agréable sous toutes les coutures. Prenez-moi à l’essai, mademoiselle. Je parle, je saute, je ris, je danse, je peux même vous réciter dans le texte des passages entiers du Dante si, par bonheur, la poésie vous intéresse. Je fais caca, pipi, tout comme un petit homme. J’ai mille tours dans mon sac. Comment me voulez-vous ce soir ? En rongeur ? En reptile ? Ou plutôt non : en alouette babillarde voletant à travers l’appartement, joyeuse et légère, s’égosillant pour vous en menues anecdotes du terroir qui vous distrairont très certainement jusqu’au moment où vous reviendrez à votre idée fixe, le sexe, et que d’alouette innocente je devrai vous réapparaître sous la forme brutale d’un bon gros pénis résistant, car c’est encore au naturel que vous me préférez. Ayant toutes les complaisances d’un homme qui sait pertinemment que, sans vous et votre putain de pognon, il en serait encore à moisir au dernier étage d’un hôtel meublé, sans profession définie, pas de métier dans les mains, une maigre chance de s’en tirer honnêtement, son avenir exactement calqué sur le modèle du passé ou du présent, s’accrochant quand même en désespoir de cause à de vagues ambitions d’écrivain parce que enfin, comme dit Dostoïevsky, le bagnard qui n’a pas pour habitude de parler en l’air : « Il faut bien qu’en fin de compte chacun trouve quelque part où aller. »
    Tout à fait mon avis. Cela m’encourageant à faire mon trou à l’endroit où je me plais. Ici même. Sous votre protection. Entendons-nous bien : je ne sollicite qu’un coin modeste, mettons comme le poisson rouge ou le chat de la maison. Docile. Peu encombrant. Il y a en moi d’immenses ressources de pleutrerie. Tout un fonds d’humilité craintive dont j’ignorais l’existence pour n’avoir jamais eu à m’en servir. Mais Nora, qui s’y entend en marécages humains parce que c’est l’une des prérogatives de l’argent que de remuer la vase autour de lui, Nora a su flairer juste. Prudente comme elle l’est, je suppose que sans cette garantie à long terme elle ne se serait même pas aventurée. Mise pas au hasard, ma Hollandaise. A deviné tout de suite que nous étions faits pour nous associer. Dans un sens, effectivement. Je n’ai pas mis des siècles à m’apprivoiser. Bon signe. Et maintenant que les habitudes sont prises, quand par extraordinaire la journée s’est déroulée sous une bonne étoile, sans venin ni coups de pattes, couronnée par un plantureux repas, des liqueurs fines, le cigare obèse entre les dents, quand nous sommes seuls tous les deux, comme un vieux couple, engourdis dans nos fauteuils, trop gavés pour parler, l’avenir se présentant à moi sous des auspices bon enfant, je savoure cette paix immobile que je n’avais jamais connue. Climat de serre chaude qui accompagne Nora où qu’elle aille. Je m’en imprègne voluptueusement. Goutte à goutte. La minute

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