Septentrion
en trouver la racine. La racine du mal . Ces quatre mots galopent dans mon esprit. Aucun rapport. Je redécolle du fauteuil. C’est mon impuissance totale qui est exaspérante. Cette pourriture de femelle sait ce qu’elle va me dire, elle n’a qu’à parler et, en dépit de mes exhortations, on ne fera pas machine arrière. Fini. Bâclé. Ainsi soit-il.
Et je ne soupçonnais rien ! Aucun signe avant-coureur. Depuis quand préméditait-elle son coup ? Huit jours ? Un mois ? Rien vu, rien senti. Je m’assieds sur le lit. Il fait une chaleur à crever dans cette casbah. L’air est tapissé de son parfum et d’odeurs de pommades. Elle a posé son sac à main sur la table de nuit. Elle le pose toujours au même endroit en rentrant. Ça me remet en mémoire notre première soirée. Ce fameux sac à main et tout le pognon qu’elle traîne dedans. Elle avait le même jour où je l’ai rencontrée. Te laisse pas abattre, old boy ! Un peu de nerfs ! Dès la première allusion à mon départ, je lui fais voler une paire de claques. Aussi sec. Excellente entrée en matière. Et si ça ne suffit pas, je réitère. Je réveille Jiecke, la bonniche mammifère. Je fais du barouf. Je gueule par la fenêtre. J’apprends d’emblée à tout son quartier quelle funeste engeance de maquerelle elle est en réalité. Toujours le temps ensuite de voir quel tour prendront les événements. Elle ne se débarrassera pas de moi sur du velours. On va être deux. Je ferai donner les cuivres. Me sens d’ailleurs au mieux de ma forme pour me suspendre chaque matin à sa sonnette après avoir été vidé des lieux. Présentement, je fais main basse sur son sac. Doit contenir un bon pécule. En guise d’acompte.
Ce plan aisément réalisable dans l’immédiat contribue à m’apaiser un peu. L’idée d’être viré fait son chemin en moi. Moins affligeant que de prime abord. Ce sont les conséquences pratiques qui s’en dégagent à la lumière de la réflexion. Le seul regret que je garderai de cette passe bénie, j’en ai brusquement la révélation, sera de ne l’avoir pas mise à profit pour écrire ou au moins ébaucher une large partie de ce bouquin mythique au nom duquel, en définitive, j’avais accepté de me faire nourrir par une femme. Tout à fait moi. M’élance du bon pied sur le tremplin et, une fois soulevé de terre, me voici folâtrant en pays inconnu, attiré loin de mon champ d’action initial par n’importe quelle toquade de dernière heure susceptible de me procurer une diversion quelconque. Le bouquin attendra. Maxime de la marche à rebours que j’ai bien dû me répéter une centaine de fois sur tous les tons et dans toutes les occasions au cours de ces quatre ou cinq dernières années. Rien d’étonnant à ce que la lune fluctuante, et dissolvante, et fluide comme le torrent, soit la planète que l’Éternel, dans son infinie sagesse, ait cru bon d’accrocher au fronton de mon berceau. Mais si le Ciel veut qu’un jour je puisse, par le truchement des mots, joindre ma voix au concert, il faudra à coup sûr mobiliser les équipes de déblaiement, les équarrisseurs, les ambulanciers, les croque-morts, les fossoyeurs et tous les prêtres de la paroisse avec des citernes d’eau bénite. Il ne sera plus temps de compter ni d’ensevelir ses morts. Sépulture de chaux vive pour tout le monde. Je me charge de creuser la fosse, d’alimenter le charnier, d’entasser vos os tordus comme des poutrelles dans le gigantesque anus hémorroïdaire de la Création. Une goutte du liquide décapant qui circule en moi suffira à cette besogne. Une goutte tous les deux ou trois siècles. La perle de rosée annonciatrice de l’éternel matin d’ascendance. Je vous obligerai à vous tenir le nez sur le chancre. Le chancre. Que vous sachiez un peu de quoi il retourne en vérité. Que vous cessiez de miauler à l’amour virginal, à l’innocence enfantine, au bonheur, au pardon, à la charité qui partage en deux parts inégales, la plus maigre pour le pauvre. Que vous vous fassiez à l’idée que Petit Jésus est mort, mort et enterré après d’innommables tortures, mort ni pour Pierre, ni pour Pilate, ni pour le bon fonctionnement du métro aérien, mais pour Lui, pour Lui tout seul, comme nous mourons tous, chacun pour soi. Que vous sachiez que tout se détériore, se gangrène, amours, pureté, croyance, génie, et finit sous la forme synthétique du chancre. Du chancre immuable. Beau et puant comme
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