Septentrion
vous. Je veux dire chose importante pour vous et moi…
Nous y sommes. Pour m’inciter à la patience, c’est elle qui pose une main sur mon pantalon gonflé. Passe et repasse légèrement au même endroit. Comment interpréter autrement que par une tendance au magnétisme le fait qu’à travers l’épaisseur du tissu elle vous mette exactement le doigt sur le prépuce et pas ailleurs ! Sans tatillonner. Droit au but.
J’éprouve toujours une certaine difficulté à suivre correctement ce qu’elle baragouine. Son langage serpente dans le maquis broussailleux, encombré de locutions d’origine qu’elle oublie de traduire.
— Oui, chérie…, dis-je çà et là, le ton neutre, afin de montrer que je suis attentif.
Je démêle vaguement qu’elle esquisse un historique de notre rencontre. Le nom de Jiecke revient souvent. Je l’écoute d’une oreille distraite. Le frottis de son index me fortifie dans mes intentions. Je ne songe même qu’à cela. Les couilles dures comme des cailloux. Mentalement, c’est comme si je me trouvais d’ores et déjà la verge enterrée entre ses deux fesses. Elle file son discours sans me regarder. Grave. Butant tous les deux ou trois mots. Je trouve franchement ahurissant qu’elle puisse ainsi se débattre avec les phrases et manœuvrer sur ma queue en virtuose. J’intercale ma formule passe-partout :
— Oui, chérie…
Me disant qu’elle est finalement moins forte que je ne le prévoyais. Elle pouvait régler l’affaire en deux mots, me prier de ramasser les quelques vêtements et objets qui m’appartiennent ici et me raccompagner à la porte. Bon vent ! Nous aurions arrangé les modalités ultérieures à l’amiable. Pourquoi ce long préambule où il est question de l’appartement, de Jiecke, des heures où nous nous voyons, des matinées que je passe à mon hôtel ? Superflu.
Mais subitement je tombe en arrêt. Ne vient-elle pas de faire allusion aux livres, ou à ce qu’il faudrait pour écrire des livres, je n’ai pas très bien compris. Entrerait-il dans ses vues, afin de se débarrasser de moi, de m’allouer une pension alimentaire ? Pourquoi pas ? M’intéresse vivement à présent. Je tâche de ne pas perdre un mot du hachis guttural. Dans son esprit, c’est bien elle et moi qui sommes sur la sellette. Je la laisse venir.
— Oui, chérie ?
Interrogatif cette fois. Pour la stimuler.
Enfin, au milieu d’un amas de mots déformés, j’apprends de sa bouche ce qu’elle hésitait, paraît-il, à me dire depuis un bon mois.
En raccourci, elle me demande de venir habiter avec elle. Ici. À demeure. En ménage.
Ébahi. Si déconcerté que je lui demande de répéter, et mon oiseau débande instantanément.
Le temps de réaliser. Une minute. Deux minutes. Et me voici en proie à l’hilarité. Impossible de me contenir. Mettons cela sur le compte de la nervosité. Pas tout à fait cependant. C’est une sorte de rire dont Nora ne peut connaître la source pour la bonne raison qu’il m’est spécifique. Rire d’anathème, rire sacrilège qui me saisit invariablement avec la même force chaque fois que le hasard ou quelque autre éventualité imprévue fond sur moi à bride abattue pour m’aider à redresser le gouvernail. J’ai l’impression distincte de me voir en effigie au milieu des conjonctions astrales qui composent ce cercle d’abstractions absurdes qu’on nomme ciel de nativité. Je me vois aux leviers de commande. Indiquant moi-même la direction des planètes et clignant de l’œil au vieil ange barbu qui me regarde faire, plein d’indulgence. Si j’ajoute que l’ange en question porte sur les tempes une superbe paire de cornes, on verra qu’il m’est difficile, pour ne pas dire impossible, de situer dans quelle partie du palais intérieur je me trouve effectivement. Sur l’une des trois premières marches en tout cas. Au poste frontière. Ce qui me pousse à conclure par une cabriole indécente à l’adresse des uns et des autres, hommes, femmes, embryons, Dieu, diable et toute la clique. Allez vous faire foutre au bordel du coin ! Moi, je persiste comme si de rien n’était, mon orfraie favorite perchée sur mon épaule gauche. Libre et obscène. Désespérément immortel. C’est un jeu d’enfant pour qui possède les quatre clefs magiques.
Tandis que Nora, un peu effrayée, piaille en mauvais français :
— K’avez-vous, chéri ?… K’est-ce ke vous rire komme ça, dites ?…
Je fais signe que
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