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Septentrion

Septentrion

Titel: Septentrion Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Louis Calaferte
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le pas de leur porte, qui parlent de ce matin ensoleillé, du temps qu’il va faire dans la journée, des nouvelles entendues à la radio. Et toi, accouché de la dernière heure, descendant te mêler à eux, te précipitant vers un bistrot qui lève son rideau de fer, affamé de bonne et saine nourriture depuis le temps que tu avales les tasses de café noir que la bonniche de l’hôtel te montait à heures fixes. Garçon, préparez-moi un casse-croûte copieux, les rillettes, le saucisson sec, le jambon fumé, les œufs sur le plat, le ketchup, le bocal de cornichons et de petits oignons blancs au vinaigre, tous les fromages que vous avez dans le garde-manger, ce qu’il vous reste de pâtisserie, et vous y ajouterez une bonne bouteille. C’est aujourd’hui le jour faste de ma naissance, j’entends célébrer cet événement sans plus tarder par un préambule nutritif qui ne fait qu’annoncer le banquet de baptême qui aura lieu dans la salle d’honneur, ce jour même, à minuit tapant ! Tu goûtes une gorgée de ce vin blanc sec et glacé, tu tailles dans le pain frais qui n’a jamais été aussi croustillant ni aussi savoureux qu’à cette minute de ta vie, et tu mesures le chemin parcouru en te demandant par exemple ce qu’il peut bien y avoir à la page 333 du manuscrit de ce foutu bouquin qui t’a fait suer sang et eau, et une joie sereine t’emplit le cœur.
    Quoi de plus simple en vérité ? Ne vivais-tu pas avant de la connaître ? L’abondance ruisselle des mains du Seigneur à l’intention des fous, des saints et des oiseaux. Sans doute a-t-on prévu ta part depuis longtemps. Il faut se présenter innocent à la Providence. Désarmé et sans arrière-pensée. Chacun de tes cheveux est porté en compte sur le livre. Est-ce assez clair ?
    Certes. Mais m’en aller d’ici avec quelques provisions de bouche ne nuirait en rien à l’objectif des opérations.
    Pour parler franc, la perspective de l’usine ou d’un boulot quelconque que je devrais fatalement dénicher à brève échéance si je quitte Nora ne me sourit guère. Pourtant, si elle n’était pas tombée du ciel un certain jour ? Halte-là, camarade ! Ces hésitations de mauvais aloi ne signifieraient-elles pas un manque inquiétant de cojones ?
    Possible. Mais je me connais. Ma décision est arrêtée. J’ai déjà revêtu l’ancienne défroque retrouvée. L’homme à tout faire de Mlle Van Hoeck a pris ses jambes à son cou par une nuit sans lune. Trop tard pour le rattraper. Le jour est proche où je me saluerai dans la glace d’un large sourire d’approbation. C’est moi. C’est bien moi. Enfant prodigue de la tribu méditative des descendants d’Issachar. Pardonnez-moi cette minute d’égarement. J’ai fait le tour des choses et me revoici parmi vous. L’œil frais et le teint hâlé. L’artiste n’a-t-il pas pour devoir de passer sa vie à marcher nu-pieds sur l’arête de silex ? Les plaies font partie de la vocation, si j’ai bien compris. Et les coups de tête, idem. Et les cuites, les copains, les entorses à la règle, les pieds dans le plat, les bris de clôture, la patrie sous les talons, etc., etc. Sans oublier les brochettes de femmes. Jeunes et jolies. De celles qui baisent en connaissant la marche à suivre. Tirer son coup quand on en a vraiment envie avec une fille qui vous fait bander pour de bon. Si longtemps que ça ne m’est pas arrivé ! Ne vous étonnez pas que j’aie la ferme intention de jouer des coudes. Méconnu si tel doit être mon lot, bataillant pour un sou, un café crème, un croissant, une cigarette, une piaule pour la nuit, tout ce que vous voudrez, à condition de sortir de cette mare gluante où nous pataugeons tous ici à des degrés divers, car Jiecke aussi est dans le lot. Mort aux tièdes ! disait Jésus. Si l’on peut ainsi résumer la situation.
    Cela jusqu’au sursaut de l’agonie. Comment et pourquoi éclate cette dispute qui en fait sera la dernière, du diable si je m’en souviens. Peut-être ne l’ai-je même jamais su. Sur la fin la tension était telle qu’un seul mot de travers mettait instantanément le feu aux poudres.
    Tout ce que je peux dire, c’est que je me revois hurlant et gesticulant dans sa chambre, séparé d’elle par la largeur du lit, en proie à l’une de ces colères noires qui vous déglinguent le système, le sang aux tempes, fou furieux, sorte d’ivresse à jeun.
    Une toute dernière étincelle me retient de faire le tour

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