Sépulcre
les lieux, elle serait sûrement en mesure d’interpréter les sens cachés qui se trouvaient éventuellement dans le texte.
S’il s’en trouvait…
Léonie leva à nouveau les yeux vers les fenêtres assombries. Les rayons de lumière filtrés par les arbres avaient passé et ils n’éclairaient plus le tombeau. À nouveau, elle sentit sur elle les yeux des statues de plâtre. Et tandis qu’elle prenait conscience de leur présence, le lieu sembla soudain changer d’atmosphère.
Il y eut un violent courant d’air. Elle perçut de la musique sans vraiment l’entendre, comme si elle venait de l’intérieur de sa tête. Puis une présence, derrière elle, qui l’entourait, la frôlait, sans la toucher, mais en la serrant de plus en plus près, un mouvement incessant accompagné de murmures, de soupirs et de pleurs.
Son pouls se mit à battre plus vite.
Ce n’est qu’un effet de mon imagination !
Alors elle entendit un autre bruit, différent. Elle voulut l’ignorer, comme elle l’avait déjà fait de ceux, réels ou imaginaires, qui l’avaient inquiétée. Mais il revint. C’était une sorte de grattement. Comme le raclement d’ongles ou de griffes sur les dalles, et il venait de derrière l’autel.
Subitement Léonie se sentit dans la peau d’une intruse. Elle avait troublé le silence du sépulcre et la paix de ceux qui habitaient dans ses renfoncements de pierre. Osé contempler les images peintes sur les murs, et dévisager les saints de plâtre qui montaient la garde. Aux aguets, ils l’observaient, et ne lui faisaient pas bon accueil. Quand elle se retourna, ce fut pour se trouver sous l’emprise du regard malveillant d’Asmodée. Les descriptions des démons dans le livre lui revinrent avec force. Elle se remémora la terreur de son oncle, comment il avait décrit les ailes noires, les présences toutes proches qui l’enserraient, la créature qui s’était jetée sur lui et avait labouré sa chair de ses griffes.
Les marques sur les paumes de mes mains, tels des stigmates, ne se sont pas effacées.
Léonie baissa les yeux et vit, ou crut voir, des marques rouges sur les paumes retournées de ses mains glacées. Des cicatrices, qui dessinaient sur sa peau blanche la forme d’un huit couché.
Alors son courage l’abandonna.
Relevant ses jupes, elle fonça vers la porte. Le regard d’Asmodée sembla se moquer d’elle au passage, ses yeux d’un bleu perçant la suivirent tandis qu’elle descendait la courte nef. Terrorisée, elle se jeta de tout son poids contre la porte, ne réussit qu’à la fermer davantage, puis se rappela qu’elle s’ouvrait de l’intérieur. Frénétique, elle saisit la poignée et tira.
À présent, Léonie en était certaine, quelqu’un marchait derrière elle. Des griffes, des ongles raclaient les dalles. Les démons des lieux avaient été lâchés pour protéger le sanctuaire du sépulcre et ils la poursuivaient. Un sanglot de terreur s’échappa de sa gorge quand elle sortit en chancelant, dans les bois gagnés par les ténèbres.
La porte se referma lourdement derrière elle en grinçant sur ses gonds. Léonie ne craignait plus ce qui l’attendait peut-être dans la pénombre des arbres. Ce n’était rien comparé aux horreurs surnaturelles qui guettaient à l’intérieur du tombeau.
Relevant ses jupes, elle se mit à courir. Elle savait que les yeux du démon la surveillaient toujours. Juste à temps, elle avait compris que les esprits et les spectres gardaient jalousement ce lieu qu’ils considéraient comme leur domaine. Fonçant dans le crépuscule, elle perdit son chapeau, trébucha, faillit tomber, et refit tout le chemin en sens inverse, repassa le torrent à sec, courut à perdre haleine à travers les bois voilés d’obscurité pour enfin, retrouver la sécurité des pelouses et des jardins.
Fujhi, poudes ; escapa, non.
L’espace d’un instant, la phrase lui revint avec une telle acuité qu’elle fut persuadée d’en avoir compris le sens.
41.
Quand Léonie rejoignit la maison, transie jusqu’aux os, ce fut pour trouver Anatole qui faisait les cent pas dans le vestibule. Son absence n’avait pas seulement été remarquée, elle avait aussi provoqué une immense inquiétude. Isolde la serra dans ses bras, puis se recula vite, comme gênée par cette démonstration d’affection. Quant à Anatole, après une brève étreinte, il se mit à la secouer, partagé entre la colère et le soulagement. Aucun d’eux ne
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