Sépulcre
vaincues. Les entités m’entouraient. Mon être et mes autres êtres, passés et à venir, étaient également présents… Ils semblaient voler autour de moi, de sorte que j’avais toujours conscience de leur présence fugace… En particulier dans l’air au-dessus de ma tête, il y avait un mouvement incessant accompagné de murmures, de soupirs et de pleurs.
Léonie referma le livre.
Le passage correspondait si précisément à son expérience que c’en était troublant. Restait à savoir si ces mots s’étaient si bien immiscés dans son inconscient qu’ils avaient ensuite influé sur ses émotions et réactions, ou si elle-même avait vécu la même expérience que son oncle. Une autre idée lui vint en tête.
Et Isolde, ne sait-elle vraiment rien à ce propos ?
Léonie avait constaté chez sa mère comme chez Isolde les mêmes réticences par rapport au Domaine et à l’atmosphère qui y régnait. Chacune à leur façon, elles avaient fait allusion au sentiment de malaise que ces lieux leur inspiraient, sans pour autant en convenir d’une manière explicite. Léonie forma une flèche en joignant le bout de ses doigts, pensive. Moi aussi je l’ai ressenti, le jour de mon arrivée au Domaine, songea-t-elle.
Tournant et retournant la question dans son esprit, elle alla ranger le livre dans sa cachette après y avoir glissé la partition de musique, puis se hâta de descendre rejoindre les autres. Sa peur avait cédé la place à une vive curiosité, et elle était bien décidée à en apprendre davantage. Elle avait une foule de questions à poser à Isolde. Par exemple, sa tante connaissait-elle les activités de son mari avant leur mariage ? Peut-être écrirait-elle même à sa mère pour lui demander si elle avait vécu dans son enfance des choses qui l’avaient troublée, ou pire, alarmée. Car sans savoir d’où lui venait cette conviction, Léonie était sûre que les lieux eux-mêmes recelaient ces terreurs : les bois, le lac, les arbres séculaires.
Mais en refermant la porte de sa chambre derrière elle, Léonie se rendit compte qu’elle ne pourrait pas parler de son expédition, au risque qu’on lui interdise dorénavant de retourner au sépulcre. Pour l’instant en tout cas, son aventure devait rester secrète.
La nuit tomba lentement sur le Domaine de la Cade, apportant avec elle une certaine fébrilité, un sentiment d’impatience, d’attente, d’observation.
Le dîner se déroula agréablement, avec de temps à autre de lointains roulements de tonnerre. On ne reparla plus des frasques de Léonie. Ils discutèrent de Rennes-les-Bains et des villes avoisinantes, des préparatifs de la soirée du samedi, des invités ; des tâches à effectuer et du plaisir qu’ils auraient à les faire.
Bref une conversation agréable et banale, d’ordre domestique.
Après souper, ils se retirèrent dans le salon et là, leur humeur changea. À l’extérieur, l’obscurité semblait une présence vivante, palpable, et ce fut un soulagement quand l’orage éclata enfin. Le ciel lui-même se mit à frémir et à gronder. Des éclairs strièrent d’argent les sombres nuages. Le tonnerre craquait, mugissait, et son écho se répercutait sur les rochers, les arbres, pour résonner entre les vallées.
Alors le vent se calma un instant comme pour mieux rassembler ses forces, et il frappa soudain la maison de plein fouet, apportant avec lui les premières gouttes d’une pluie qui avait menacé toute la soirée. Des rafales de grêle cinglèrent les fenêtres, et des trombes d’eau s’abattirent sur la maison. Ceux qui se trouvaient à l’intérieur eurent l’impression d’être secoués, comme dans un navire assailli par d’immenses vagues.
À certains moments, Léonie crut entendre de la musique. Comme si le vent égrenait les notes qui étaient inscrites sur la partition cachée dans sa chambre. Elle se rappela alors avec un frisson la mise en garde du vieux jardinier.
Anatole, Isolde et Léonie faisaient mine d’ignorer la tempête qui se déchaînait au-dehors. Un bon feu crépitait dans l’âtre. Toutes les lampes étaient allumées et les domestiques avaient apporté des bougies en supplément. Ils étaient installés aussi confortablement que possible, pourtant Léonie craignait que les murs ne chancellent et ne finissent par s’effondrer sous l’assaut des éléments déchaînés.
Dans le vestibule, une porte s’ouvrit violemment sous la poussée du vent et
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