Sépulcre
silencieuse.
— Nous verrons, dit-elle enfin. Certes, cet endroit est magnifique, mais il n’incline pas à la paix de l’esprit.
52.
Carcassonne
Lundi 28 septembre 1891
L’employé des wagons-lits ouvrit la portière de la voiture première classe et Victor Constant en descendit pour poser le pied sur le quai de la gare de Carcassonne.
C’était comme dans l’une de ces comptines de grands-mères : « Loup y es-tu ? Entends-tu ? Me voilà, et vous ne m ’ échapperez pas ! »
Il soufflait un vent à décorner les bœufs. Selon les prévisions, de violentes tempêtes allaient s’abattre très prochainement sur la région, comme on n’en avait pas vu depuis des années. Carcassonne en particulier allait en faire les frais, peut-être dès la semaine prochaine.
Constant regarda autour de lui. Au-dessus des voies de garage, les arbres se courbaient en tous sens en fouettant sauvagement l’air de leurs branches. Dans un ciel gris acier, des nuages noirs filaient, menaçants, au-dessus des toits de la ville.
— Et ce n’est que le prélude, dit Constant en souriant de sa propre plaisanterie.
Il chercha des yeux son homme de main et l’endroit du quai où il avait débarqué les bagages. En silence, ils traversèrent le hall. Constant attendit qu’il lui trouve un fiacre en regardant avec indifférence vers le canal du Midi, où les mariniers amarraient leurs péniches à des bollards ainsi qu’au pied des tilleuls qui bordaient la rive. L’eau agitée clapotait contre les chaussées en brique. Dans le kiosque à journaux, La Dépêche de Toulouse annonçait en gros titre la tempête qui frapperait le soir même, et n’en était qu’à son début.
Constant prit pension dans une rue étroite de la Bastide Saint-Louis. Puis, laissant à son valet la corvée qui consisterait à visiter chaque pension, hôtel ou maison d’hôtes pour montrer aux logeurs la photo de famille des Vernier dérobée dans l’appartement de la rue de Berlin, il se rendit à pied à la citadelle médiévale qui se dressait sur la rive opposée de l’Aude.
Malgré sa haine pour Vernier, Constant ne pouvait qu’admirer la façon dont il avait effacé ses traces. En même temps, il espérait que ce talent d’escamoteur conduirait son ennemi à se montrer arrogant et à oublier sa prudence. Constant avait grassement payé le concierge de la rue de Berlin pour qu’il intercepte toute correspondance venant de Carcassonne, comptant que Vernier, obligé de se cacher, ignorait encore la mort de sa mère. À Paris, le réseau se resserrait à son insu, et cette idée procurait à Constant une intense satisfaction.
Il traversa la rivière par le Pont-Vieux. En contrebas, entre ses berges inondées, l’Aude coulait, noire et bouillonnante, sur les rochers plats et entre des îlots de végétation à demi submergés. Il rajusta ses gants, tentant de soulager une rougeur qui lui irritait la peau, entre l’index et le majeur de la main gauche.
Carcassonne avait beaucoup changé depuis la dernière fois où il y avait mis les pieds. Malgré le mauvais temps, des bonimenteurs distribuaient des brochures touristiques à chaque coin de rue, semblait-il. Constant parcourut avec dédain le prospectus qu’il avait pris machinalement, passant rapidement sur des réclames pour une liqueur de la région, des savons de Marseille, des magasins de vélos et diverses pensions de famille pour en arriver au texte lui-même, qu’il trouva d’un mauvais goût achevé, avec son style ampoulé et ses références historiques très approximatives. Constant le roula en boule dans son poing ganté et le jeta sur le pavé.
Il détestait cette cité et il avait pour cela d’excellentes raisons. Trente ans plus tôt, son oncle l’avait entraîné dans les bas-fonds de la ville, au milieu des ruines et des taudis pouilleux, entre les murailles écroulées. Plus tard le même jour, gavé d’alcool de prune et d’opium, il avait eu sa première expérience. C’était dans un boudoir tapissé de soie damassée, au-dessus d’un bar de la place d’Armes. Son oncle lui avait offert pour l’occasion les services d’une professionnelle.
Ce même oncle était maintenant enfermé à Lamalou-les-Bains, fou et syphilitique au dernier degré. Constant ne lui rendait jamais visite. Il n’avait aucune envie de voir les ravages que la maladie aurait aussi sur lui, avec le temps.
C’était la première femme que Constant avait tuée. Il
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