Sépulcre
quartier puait la crasse, et la pauvreté. Plissant le nez, elle remonta à petits pas la rue pavée bordée d’immeubles mal entretenus et surpeuplés, aux volets disjoints et écaillés.
Ce sera sûrement mieux à l’intérieur de la cité, se rassura Léonie.
La rue en pente douce l’amena en terrain dégagé, aux abords verdoyants de la citadelle. Sur sa gauche, en haut d’un escalier en pierre délabré, elle aperçut dans un renfoncement des vieux murs une lourde porte en bois et lut sur un panneau rongé d’humidité qu’il s’agissait jadis du couvent des Capucins.
Léonie et Anatole n’avaient pas été élevés sous la férule de l’Église. Leur mère était pour cela trop libre d’esprit, et comme Anatole l’avait une fois expliqué à Léonie, les convictions de leur père, Léo Vernier, lui faisaient considérer le clergé comme un ennemi nuisant à l’établissement d’une véritable république au même titre que l’aristocratie. Pourtant Léonie regrettait avec un certain romantisme qu’on sacrifie par principe sur l’autel de la politique et du progrès des œuvres qui, selon elle, aspiraient à la beauté, au-delà des questions religieuses. Ainsi la qualité architecturale du lieu lui parlait, même si elle restait insensible aux paroles prononcées dans l’enceinte du couvent.
Songeuse, elle poursuivit son chemin et passa devant la Maison de Montmorency, un bel édifice avec des pans de bois et des fenêtres à meneaux dont les vitres en losanges reflétaient la lumière en des prismes bleus, roses et jaunes, malgré le gris terne du ciel.
En haut de la rue de la Trivalle, elle tourna à droite. Devant elle se profilèrent soudain les hautes tourelles couleur sable de la porte Narbonnaise, l’entrée d’origine de la cité. Et Léonie découvrit alors, émerveillée, les deux lignes de remparts ainsi que l’enfilade d’énormes tours aux toits d’ardoises ou de tuiles rouges qui ressortaient magnifiquement sur le ciel gris de plomb.
Prise d’un regain d’enthousiasme, elle, releva ses jupes pour gravir la pente à son aise et aperçut tout en marchant les cimes de monuments funéraires, anges aux ailes déployées, croix monumentales, qui dépassaient des hauts murs d’un cimetière.
Au-delà s’étendaient des champs et des prairies.
Léonie s’arrêta un instant pour reprendre son souffle. On pénétrait dans la citadelle par un pont pavé enjambant de larges fossés herbeux. À l’entrée du pont se dressait une cabine de péage. Coiffé d’un haut-de-forme cabossé, le préposé en faction arborait des favoris à l’ancienne mode. Les mains dans les poches, il attendait les charretiers et marchands qui transportaient des tonneaux de bière dans la cité pour leur faire acquitter un droit de passage.
Perché sur le muret du pont, un homme blaguait avec deux soldats en riant fort. Il portait une vieille cape bleue datant de l’époque napoléonienne et fumait une pipe à long tuyau, aussi noire que l’étaient ses dents. Un instant, Léonie crut voir passer une lueur de surprise dans ses yeux quand il l’aperçut. Il soutint son regard avec un brin d’insolence, puis détourna la tête. Troublée, la jeune fille se hâta de dépasser les trois compères.
Quand elle s’engagea sur le pont, le vent du nord-ouest la frappa de plein fouet et elle dut maintenir son chapeau d’une main de peur qu’il ne s’envole, tout en plaquant ses jupes de l’autre pour éviter qu’elles ne s’enroulent autour de ses jambes. Elle avança péniblement en plissant les paupières pour se protéger de la poussière et du sable que les rafales lui projetaient dans les yeux.
À l’instant où elle pénétra dans la cité, elle fut à l’abri du vent. Elle s’arrêta un instant pour se rajuster, puis reprit sa route en s’efforçant de ne pas tremper ses bottines dans l’eau de la rigole qui courait au milieu des pavés et arriva en terrain dégagé, entre les fortifications intérieures et extérieures. Là, autour d’une pompe, deux garçonnets tiraient de l’eau dans un seau en fer-blanc. De chaque côté, on voyait les ruines d’humbles baraques qui venaient d’être démolies. À la hauteur d’un premier étage, contre un pan de mur donnant sur du vide, la pierre d’un âtre noire de suie témoignait d’un foyer qui avait dû chercher logis ailleurs.
Regrettant fort de n’avoir pas emporté son guide avant de quitter l’hôtel au lieu de la seule
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