Sépulcre
contenaient des fruits et des légumes frais, des herbes aromatiques, des fleurs de saison. Des femmes vêtues de noir à la peau tannée par le vent et le soleil vendaient aussi du pain et des fromages de chèvre dans des corbeilles en osier.
Léonie découvrit avec ravissement qu’un grand magasin occupait presque toute la façade d’un des côtés de la place. PARIS CARCASSONNE, lisait-on en grosses lettres sur un écriteau fixé par des cordons d’acier aux balcons en fer forgé. Il n’était que 14 h 30, pourtant on sortait déjà sur le devant du magasin les présentoirs d’articles soldés avec leurs pancartes PRIX SACRIFIÉS. Des objets disparates étaient suspendus aux auvents par des crochets en métal, fusils, robes de prêt-à-porter, paniers, poêles à frire et, sur le trottoir, on avait même installé des fours et des cuisinières.
Si j’achetais des articles de chasse pour Anatole ? songea Léonie.
Mais elle avait peu d’argent sur elle et aucune possibilité qu’on lui fasse crédit. Et puis elle ne saurait quel article choisir. L’idée lui sortit de la tête aussi vite qu’elle y était venue. Fascinée, Léonie fit le tour du marché. Ici, les commerçants avaient un air affable, des visages ouverts et souriants, et elle osa tâter les fruits, frotter de fines herbes entre ses doigts, respirer le parfum des fleurs à grandes tiges, ce qu’elle ne se serait jamais permis à Paris, de peur d’essuyer des rebuffades.
Quand elle eut épuisé tout ce que la place aux Herbes avait à offrir, elle décida de s’aventurer dans les rues latérales qui l’entouraient. Prenant vers l’ouest, elle se retrouva dans la rue Mage, où se trouvait l’étude de notaire. En haut de la rue, il y avait surtout des bureaux et des ateliers de couture. Elle s’arrêta un instant devant la boutique des Tissus Cathala pour regarder par la vitrine les étoffes multicolores et les articles de mercerie. Sur les volets en bois qui encadraient l’entrée, des dessins de modes masculine et féminine étaient punaisés, costumes pour messieurs, robes ou capes pour dames, tenues de jour ou de soirée.
Léonie resta à examiner les patrons tout en jetant de temps à autre un coup d’œil vers l’étude. Peut-être verrait-elle Isolde et Anatole en sortir. Mais elle finit par abandonner et descendit la rue, attirée par les boutiques qu’elle apercevait plus bas.
Avec Marieta sur les talons, elle marcha en direction de la rivière. Elle s’arrêta pour regarder les devantures de plusieurs magasins d’antiquités. Il y avait une librairie exposant des rayonnages en bois foncé couverts de livres en cuir reliés rouges, verts et bleus. Au numéro 75 était sise une épicerie fine d’où s’échappait un délicieux arôme de café grillé fraîchement moulu.
Un instant, elle resta campée sur le trottoir à regarder par les trois hautes vitrines. Dedans, sur des étagères en bois et en verre, s’alignaient des bocaux contenant diverses sortes de grains, ainsi que des marmites et des casseroles. Au-dessus de la porte on lisait le nom de l’épicier, Élie Huc. D’un côté du magasin, des chapelets de saucissons pendaient à des crochets. De l’autre s’entassaient des ballots remplis de thym, de sauge, de romarin, près d’une table où des coupes et des jarres étaient disposées, remplies de cerises au vinaigre et de fruits confits.
Pour remercier Isolde d’avoir organisé cette escapade à Carcassonne, Léonie décida de lui acheter un petit quelque chose. Laissant Marieta se morfondre sur le trottoir, elle entra dans l’épicerie comme si c’était la caverne d’Ali Baba et en ressortit quelques minutes plus tard avec un paquet enveloppé de papier contenant les grains d’un café d’Arabie suave et délicat, ainsi qu’un gros bocal de fruits confits.
Marieta commençait sérieusement à lui taper sur les nerfs, à la suivre comme un toutou avec son air anxieux.
Si j’osais…, se dit-elle.
Anatole se fâcherait pour de bon. Mais il n’en saurait rien, à condition qu’elle agisse vite et que Marieta tienne sa langue. Tout excitée par l’idée qui s’était glissée malicieusement dans son esprit, presque malgré elle, Léonie jeta un coup d’œil des deux côtés de la rue. Il y avait quelques promeneuses non accompagnées, des dames de la bonne société. Visiblement, ce n’était pas courant, mais il y en avait. Et personne ne semblait lui prêter attention.
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