Sépulcre
hésitation, mais avec une voix qui sonna, à son grand regret, un peu trop aiguë.
Souriant toujours, l’étranger ne sembla pas le remarquer.
— Très bien, fit-il et, sortant une carte de visite de sa poche, il inclina le buste. Victor Constant, pour vous servir.
Léonie prit la carte joliment gravée et tenta de dissimuler son émoi en lisant le nom qui y figurait. Elle aurait voulu trouver une repartie amusante et regrettait d’avoir ôté ses gants. Sous le regard bleu turquoise de son interlocuteur, elle se sentait un peu à nu.
— Et puis-je avoir l’audace de vous demander votre nom ? reprit son interlocuteur.
— Naturellement, suis-je bête, répondit-elle après un petit rire. Je m’appelle Léonie Vernier.
Constant lui prit la main et la porta à ses lèvres.
— Enchanté.
Léonie tressaillit en sentant ses lèvres s’attarder sur sa peau et le rouge lui monta aux joues. Honteuse de sa réaction, elle retira sa main.
Galamment, il feignit de ne rien remarquer, ce dont Léonie lui sut gré.
— Vous m’avez d’office appelée mademoiselle, dit-elle quand elle se sentit assez sûre de sa voix. Qu’en savez-vous ? Je pourrais très bien être accompagnée de mon époux.
— Ma foi, je ne peux croire qu’un mari manquerait d’égards envers sa jeune et belle épouse au point de l’abandonner en pareille compagnie, déclara-t-il en dirigeant son regard vers la populace trempée et débraillée qui s’était agglutinée dans les coins.
Flattée du compliment, Léonie dissimula un sourire.
— Mon mari pourrait être parti chercher de l’aide, tout simplement, remarqua-t-elle.
— Ce serait faire preuve d’une belle inconséquence, dit-il, et sa voix vibra d’un accent passionné, presque farouche, qui fit un étrange effet à Léonie.
Il baissa les yeux sur la main nue de la jeune fille, où ne brillait aucune alliance.
— Eh bien, je dois admettre que vous êtes très perspicace, monsieur Constant, répondit-elle. Effectivement, je ne suis pas mariée. Si je comprends bien, vous-même ne traiteriez jamais votre femme de la sorte ? ajouta-t-elle en se rendant compte trop tard de l’audace de ses propos.
— Hélas je ne suis pas marié, avoua-t-il, et ses lèvres s’étirèrent en un lent sourire. Je voulais juste dire que, si j’avais la chance de vous avoir pour épouse, je ne saurais vous négliger, ne serait-ce qu’un instant.
Les éclats bleu et vert de leurs regards se croisèrent. Léonie rit pour cacher son émoi, et parmi les hôtes temporaires de Saint-Gimer, plusieurs se tournèrent vers elle d’un air outré.
— Chut ! fit Constant en posant un doigt sur ses lèvres. Manifestement, on n’apprécie guère nos badineries, dit-il en baissant la voix, de sorte qu’elle dut se rapprocher.
Ils étaient maintenant très près l’un de l’autre, presque à se toucher, et Léonie sentait la chaleur qui se dégageait de lui. C’était comme si tout son flanc droit était exposé aux flammes d’un ardent brasier. Elle se rappela les paroles prononcées par Isolde à propos de l’amour quand elles étaient assises au-dessus du lac sur le promontoire et, pour la première fois, pressentit ce que ce mot pouvait signifier.
— Vous confierai-je un secret ? demanda-t-il.
— Faites donc.
— Je crois savoir ce qui vous a amenée en ces lieux, mademoiselle Vernier.
— Vraiment ? s’étonna Léonie en haussant les sourcils.
— Vous avez l’air d’une jeune dame en quête d’aventure. Vous êtes entrée seule dans cette église, trempée par l’orage, ce qui laisse supposer qu’aucune servante ne vous accompagnait, car elle vous aurait certainement fourni un parapluie. Et dans vos yeux d’émeraude brille une certaine fièvre qui ne trompe pas.
Il y eut des éclats de voix qui détournèrent un instant l’attention de Constant. Non loin de là, une famille espagnole se querellait. Léonie n’était pas tout à fait dans son état normal, pourtant elle se rendait compte du danger qu’il y aurait à dire dans l’intensité de l’instant des choses qu’elle risquait de regretter par la suite.
Vos yeux d’émeraude… Le compliment résonnait encore à son oreille.
— Il y a beaucoup d’ouvriers travaillant dans le textile, dans ce quartier, dit Constant en changeant de sujet, comme s’il sentait son trouble. Jusqu’en 1847, année où débutèrent les travaux de rénovation de la forteresse médiévale, la cité était
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