Sépulcre
Décidément, Anatole se faisait du souci pour rien.
En plein jour et dans un quartier aussi tranquille, je n’ai vraiment pas besoin d’un chien de garde, songea-t-elle.
— Tiens, dit-elle à Marieta avec autorité en lui donnant le paquet, je n’ai pas envie de m’encombrer de ça, puis elle fit mine de regarder le ciel. Hum ! Ça se couvre, on dirait. J’ai bien peur que la pluie ne se remette à tomber. Il vaudrait mieux que tu portes ce paquet à l’hôtel et que tu reviennes avec un parapluie. Je t’attendrai ici.
— Mais le Sénher Vernier a dit que je devais rester avec vous, protesta Marieta avec une lueur d’angoisse dans les yeux.
— Cela ne te prendra qu’une dizaine de minutes, affirma Léonie. Il n’en saura rien. Ce café est un cadeau pour ma tante et je ne voudrais pas qu’il se gâte, dit-elle en tapotant le paquet. Rapporte donc un parapluie. Comme ça, nous serons parées… Tu crois que mon frère serait content si jamais j’attrapais un rhume à cause de toi ? conclut-elle en lui assenant son dernier argument comme un coup de massue.
Marieta hésita en regardant le paquet.
— Allons, dépêche-toi, s’impatienta Léonie. Je t’attends ici.
Marieta s’éloigna d’un pas vif pour remonter la rue Mage, jetant plusieurs fois un regard en arrière comme pour s’assurer que sa jeune maîtresse n’avait pas disparu.
Ravie de son innocent subterfuge, Léonie sourit. Elle n’avait pas l’intention de désobéir aux instructions d’Anatole en quittant la Bastide. Par contre, en toute bonne conscience, elle estimait qu’elle pouvait bien marcher jusqu’à la rivière pour apercevoir la citadelle médiévale depuis la rive droite de l’Aude. Elle avait trop envie de voir la cité dont Isolde lui avait parlé et qui était si chère à M. Baillard.
Sortant la carte de sa poche, elle l’étudia.
Ça ne devait pas être bien loin et si par malheur Marieta revenait avant elle, Léonie expliquerait qu’elle avait juste cherché l’étude du notaire afin de pouvoir rentrer à pied avec son frère et sa tante, et s’était en conséquence séparée un moment de la servante.
Satisfaite de son plan, elle traversa la rue Pélissier la tête haute, avec la sensation grisante d’être une jeune fille libre, indépendante, en route vers l’aventure. Dépassant les colonnes en marbre de l’Hôtel de Ville, elle se dirigea vers ce qui devait être, d’après la carte, les ruines de l’ancien monastère des Clarisses. Il n’en restait qu’un clocher coiffé d’une jolie coupole.
Elle quitta le réseau des rues fréquentées pour l’espace calme et dégagé du square Gambetta. Une plaque rendait hommage à l’œuvre de Léopold Petit, l’architecte carcassonnais qui avait conçu les jardins. Au centre du parc s’étendait un grand lac d’où des jets d’eau s’élançaient vers le ciel en diffusant une nuée blanche et vaporeuse. Autour d’un kiosque à musique de style japonisant, les chaises blanches en désordre, les détritus qui jonchaient le sol, mégots, papiers gras, débris de cornets de glace, prospectus, laissaient supposer qu’il y avait eu récemment un concert. Se penchant, Léonie ramassa un vieux programme.
Sortant du square Gambetta, elle prit à droite et s’engagea dans une rue pavée plutôt sinistre qui longeait le côté d’un hôpital et semblait déboucher sur un beau point de vue, au pied du Pont-Vieux.
Une statue de bronze surplombait une fontaine située à un croisement. Léonie frotta la plaque pour lire l’inscription. La statue représentait au choix la Samaritaine, Flore ou Pomone. À l’entrée du pont, depuis l’hôpital, un saint Vincent de Paul aux bras déployés semblait promener un regard bienveillant sur la chapelle adjacente, avec sa porte en ogive et sa rosace. L’ensemble parlait à la fois de richesse et de charité.
Léonie tourna à angle droit et, saisie d’émerveillement, elle découvrit pour la première fois la citadelle, perchée sur une colline de l’autre côté de la rivière. La cité était à la fois plus grandiose et d’une échelle plus humaine qu’elle ne se l’était figuré. Sur des cartes postales, elle avait lu la fameuse citation de Gustave Nadaud : « Il ne faut pas mourir sans avoir vu Carcassonne », et l’avait prise pour un vulgaire slogan publicitaire. À présent qu’elle était sur place, la phrase du chansonnier lui semblait au contraire sonner juste.
La rivière
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