Sépulcre

un coup de pied dans le menton. Un instant l’étau se desserra, juste assez pour qu’il saisisse l’homme par le collet et, assurant sa prise, l’envoie valdinguer contre des colonnes cannelées.
    Alors Anatole se lança en avant de tout son poids pour forcer le passage, mais l’autre lui flanqua un direct sur la tempe. Il tomba à genoux en s’efforçant sans grand effet de lui enfoncer les côtes.
    Se servant de ses deux poings serrés comme d’une massue, son agresseur lui assena un coup terrible sur la nuque. Il s’effondra en avant, puis bascula à terre. Un coup de botte ferrée d’acier à l’arrière des jambes le fit s’étaler au sol. Il leva les mains au-dessus de sa tête et remonta ses genoux sous son menton en tentant vainement de se protéger. Mais les coups se succédèrent, visant ses côtes, ses reins, ses bras, et il se rendit compte alors que ce tabassage en règle ne s’arrêterait peut-être pas.
    — Hep ! Hé ! Vous là-bas ! Qu’est-ce qui se passe ? lança une voix depuis l’autre bout du passage, et Anatole crut voir une lumière luire dans l’obscurité.
    Un instant, le temps s’arrêta. Anatole sentit l’haleine brûlante de l’un de ses agresseurs quand il lui chuchota à l’oreille : « Que cela te serve de leçon. »
    Puis des mains palpèrent son corps meurtri, des doigts s’immiscèrent dans la poche de son gilet et, d’un coup sec, on arracha la montre de gousset de son père.
    — Par ici ! lança Anatole, retrouvant enfin sa voix.
    Après un dernier coup de pied dans les côtes qui le fit s’arc-bouter, les deux agresseurs s’enfuirent en courant en sens inverse de la lumière vacillante qui s’approchait.
    — Par ici ! s’écria encore Anatole.
    Il entendit des pas traînants, puis un cliquetis de verre et de métal alors que le veilleur de nuit posait sa lampe par terre pour l’examiner.
    — Qu’est-ce qui s’est passé, mon bon monsieur ? s’enquit le vieux bonhomme.
    Anatole réussit à s’asseoir et le veilleur l’aida à se redresser.
    — Ça va, dit-il en essayant de reprendre son souffle.
    Il porta la main à son œil et retira ses doigts rougis de sang.
    — Dites donc, vous avez drôlement reçu !
    — Ce n’est rien, répéta-t-il. Juste une entaille.
    — On vous a dépouillé ?
    Anatole ne répondit pas tout de suite. Il inspira profondément, puis se releva en s’appuyant sur le veilleur de nuit, en proie à une douleur fulgurante qui remonta de ses jambes à son dos. Encore chancelant, il examina ses mains, leurs jointures meurtries, leurs paumes maculées de sang. Une plaie à la cheville frottait contre le tissu de son pantalon.
    Anatole prit le temps se remettre, puis il épousseta ses vêtements.
    — Alors, qu’est-ce qu’ils vous ont pris, mon bon monsieur ?
    Tapotant sa veste, Anatole découvrit avec surprise que son carnet et son étui à cigarettes s’y trouvaient toujours.
    — Seulement ma montre, apparemment, répliqua-t-il.
    Sa voix lui semblait venir de très loin et il était encore sonné, comme décalé de la réalité. Ce n’était pas juste un vol à la tire. Mais une leçon, comme l’avait bien précisé ce type.
    Chassant cette idée, Anatole sortit un billet.
    — Pour vous remercier de votre aide, mon ami, et il glissa le billet entre les doigts du vieux, tachés de nicotine.
    Le visage du veilleur s’illumina.
    — C’est très généreux de votre part, monsieur.
    — Mais inutile de rapporter cet incident à quiconque, n’est-ce pas, mon brave ? Et maintenant, si vous pouviez me trouver un fiacre ?
    — Tout ce que vous voudrez, mon seigneur, acquiesça le vieux en tapant sa casquette.

8.
    Léonie se réveilla en sursaut, complètement désorientée, incapable de se rappeler pourquoi elle était blottie dans un fauteuil du salon, emmitouflée dans une couverture en laine. Puis elle vit sa robe de soirée déchirée et tout lui revint. L’émeute au palais Garnier. Le souper tardif avec Anatole. Achille jouant des berceuses en pleine nuit. Elle jeta un coup d’œil à la pendule de Sèvres posée sur le manteau de la cheminée.
    Cinq heures et quart du matin.
    Transie jusqu’aux os et un peu nauséeuse, elle gagna l’entrée et remonta le couloir en remarquant que la porte de la chambre d’Anatole était à présent fermée. Ce constat la rassura.
    Sa chambre était au bout du couloir. Claire, agréable, elle était plus petite que celles de sa mère ou de son