Sépulcre
installa sa douce épouse et leur toute petite fille au Domaine de la Cade, là où Jules habitait déjà, et leur rendit visite de loin en loin, quand l’envie lui en prenait. À voir l’expression chagrine de Marguerite les rares fois où elle parlait de son enfance, Léonie savait que sa mère n’y avait guère été heureuse.
Grand-Père Lascombe et son épouse périrent une nuit, après que leur cabriolet se fût renversé. Quand on donna lecture du testament, il s’avéra que Guy avait légué toute sa fortune à Jules, sans laisser un sou à sa fille. Marguerite partit sur-le-champ pour Paris, où elle rencontra et épousa en février 1865 Léo Vernier, un idéaliste radical. Comme Jules était un partisan de l’ancien régime, il n’y avait plus eu depuis lors aucun contact entre les demi-frère et sœur.
— Et pourquoi t’écrit-elle cette fois ? demanda Léonie en soupirant.
Marguerite regarda la lettre d’un air incrédule.
— Eh bien elle t’invite à venir chez elle pour un séjour de quatre semaines, Léonie.
— Quoi ! s’écria Léonie en arrachant presque la lettre des mains de sa mère.
— Chérie, s’il te plaît !
— Et tante Isolde explique-t-elle pourquoi elle me fait maintenant l’honneur de cette invitation ?
Anatole alluma une cigarette.
— Peut-être qu’elle souhaite réparer les torts de son défunt mari envers nous.
— C’est possible, convint Marguerite, pourtant, dans la lettre elle-même, rien ne le laisse accroire.
— Ce n’est pas le genre de chose qu’on écrit noir sur blanc, maman, remarqua Anatole d’un air amusé.
Léonie croisa les bras.
— Eh bien c’est absurde. Je n’envisage pas un instant d’accepter l’invitation d’une tante à laquelle on ne m’a jamais présentée, et ce pendant une aussi longue période. Non mais quelle idée ! Comme si j’étais prête à aller m’enterrer à la campagne pendant des semaines avec une veuve pour parler du bon vieux temps.
— Mais Isolde n’est pas vieille du tout, protesta Marguerite. Elle était bien plus jeune que Jules. Elle doit avoir trente ans, guère plus.
Un silence tomba sur la table du petit déjeuner.
— Ça ne change rien au fait que je décline son invitation, finit par dire Léonie.
Marguerite consulta son fils, assis en face d’elle.
— Anatole, qu’en penses-tu ?
— Je n’irai pas, déclara Léonie encore plus fermement.
— Allons, Léonie, dit Anatole avec un sourire, un séjour au pied des montagnes, ça ne se refuse pas. Encore la semaine dernière, tu me disais combien tu étais lasse de la vie à Paris. Ça tombe à pic.
Léonie le regarda, éberluée.
— Cela te ferait du bien de changer d’air et de décor, poursuivit Anatole. Et puis le climat à Paris est insupportable. On passe sans arrêt du froid au chaud. Un jour venteux et humide, le lendemain une chaleur torride, digne du désert saharien.
— Peut-être mais…
— Toi qui te plaignais de ta vie monotone, qui avais envie d’un peu d’aventure, quand l’occasion se présente, voilà que tu es trop timorée pour la saisir.
— Mais tante Isolde a peut-être un caractère de chien. Comment savoir si je m’entendrais avec elle ? Et puis que ferais-je à la campagne, comment occuperais-je mon temps ? Maman, tu as toujours dit pis que pendre du Domaine de la Cade, remarqua-t-elle en jetant à sa mère un regard de défi.
— C’était il y a longtemps, répondit posément Marguerite. Peut-être que les choses ont changé.
Léonie invoqua un autre argument.
— Et puis c’est loin. Il y en a pour des jours de voyage. Je ne peux pas faire tout ce trajet sans chaperon.
— Non, non… bien sûr que non, convint Marguerite en la considérant. Mais il se trouve qu’hier soir, le général Du Pont m’a proposé d’aller visiter la vallée de la Marne pendant une semaine ou deux. Anatole, pourrais-je compter sur toi pour accompagner Léonie dans le Midi ?
— Mais oui, je suis sûr de pouvoir me libérer quelques jours.
— Mais maman…, objecta Léonie.
Son frère lui coupa la parole.
— En fait, je disais justement que j’avais envie de quitter Paris pour un temps. Tout s’arrange merveilleusement. Et puisque tu as peur de te retrouver loin de chez toi, seule, en terrain inconnu, ajouta-t-il en fixant sa sœur d’un air de conspirateur, je suis sûr que tu sauras persuader tante Isolde de m’inviter aussi.
— Oh, dans ce cas, convint
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