Sépulcre
frère, mais très joliment meublée dans une harmonie rose et bleue. Un lit, une armoire, une commode, une table de toilette avec une cuvette et un broc en porcelaine, une coiffeuse et un petit tabouret aux pieds griffus avec un coussin en tapisserie.
Léonie se défit de sa robe de soirée dépenaillée qui glissa à terre en froufroutant. La femme de chambre passerait du temps à la raccommoder. Le bord en dentelle était tout déchiré et taché. Puis elle dénoua ses jupons et entreprit d’ôter son corset, ce qui n’était pas une mince affaire. En se tortillant, elle réussit à le dégrafer et le jeta sur une chaise. Après une toilette de chat, car l’eau apportée la veille au soir était glacée, elle enfila sa chemise de nuit et se mit au lit.
Deux heures plus tard, le raffut des domestiques qui s’affairaient dans l’appartement la réveilla.
Soudain affamée, elle s’empressa de se lever et ouvrit elle-même les rideaux et les volets de sa chambre. Le jour avait redonné vie au monde indistinct et figé de la nuit. De sa fenêtre, elle s’étonna de trouver Paris inchangé, malgré la tourmente de la veille au soir. En se brossant les cheveux, elle s’examina dans le miroir, mais là non plus elle ne trouva rien, pas la moindre trace de ses aventures nocturnes, et en fut un peu désappointée.
Après avoir ceint d’un double nœud sa lourde robe de chambre en brocart, elle sortit dans le couloir.
Quand elle entra dans le salon, un bon arôme de café frais l’accueillit. Elle eut la surprise d’y trouver sa mère et Anatole déjà à table. D’habitude, Léonie prenait son petit déjeuner toute seule.
Même à cette heure matinale, sa mère s’était déjà préparée en se nimbant d’un nuage de poudre de riz et en relevant artistiquement ses cheveux. Elle était dos aux fenêtres, mais à la lumière impitoyable du matin, on discernait des ridules au coin de ses yeux et de sa bouche. Léonie remarqua son nouveau négligé en soie rose orné d’un nœud jaune. Encore un cadeau du pompeux Du Pont, se dit-elle en soupirant. Plus il sera généreux avec elle, plus il nous faudra le supporter.
S’en voulant d’avoir des pensées si peu charitables, Léonie s’avança pour embrasser sa mère sur la joue avec plus de chaleur que d’habitude, puis elle se tourna vers son frère, qu’elle n’avait pas encore vu de face. Alors, choquée, elle se figea sur place.
Il avait l’œil gauche fermé, tout gonflé, une main bandée et une vilaine ecchymose sur le menton. Mais Anatole intervint vivement sans lui laisser le temps de réagir et il lui jeta un regard aigu, pour lui clouer le bec.
— J’ai raconté à maman que nous avions été pris dans une manifestation au palais Garnier hier soir, dit-il. Et que j’ai eu la malchance d’écoper de quelques coups.
Léonie en resta coite.
— L’événement a même fait la une du Figaro , ajouta Marguerite en tapotant le journal de ses ongles impeccables. Quand j’y pense ! Dieu merci, Anatole était là pour veiller sur toi. Mais il aurait pu se faire tuer. D’après le journal, il y aurait eu plusieurs morts.
— Ne te tracasse pas, maman. J’ai déjà vu un médecin qui m’a ausculté, déclara Anatole. C’est impressionnant, mais en réalité, je n’ai rien de grave.
Léonie s’apprêta à parler, puis y renonça en croisant à nouveau le regard impératif d’Anatole.
— Plus d’une centaine d’arrestations, continua Marguerite. Sans parler des explosions ! Au palais Garnier, vous vous rendez compte ? Paris est devenu invivable. Une cité sans foi ni loi. Je trouve cela franchement insupportable.
— Maman, tu n’as rien eu à supporter du tout pour la bonne raison que tu n’y étais pas, alors arrête de te plaindre, lui lança Léonie avec impatience. Regarde, je vais bien. Et Anatole… Anatole t’a dit qu’il allait bien lui aussi, ajouta-t-elle après un temps d’arrêt où elle fixa son frère d’un regard appuyé. Tu ne fais que te contrarier à plaisir.
— Tu n’as aucune idée de ce qu’une mère peut endurer, lui répliqua Marguerite avec un pâle sourire.
— Et ça ne m’intéresse pas, marmonna Léonie en prenant un pain au levain qu’elle tartina copieusement de beurre et de confiture d’abricot.
Un silence s’installa, durant lequel chacun but et mangea. Léonie cherchait Anatole du regard, mais son frère se dérobait.
Enfin la servante arriva avec le courrier sur un
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