Sépulcre
aussi fait allusion, tout comme vous, à des événements déplaisants, des rumeurs, des incidents tirant leur origine du sépulcre, qui ont nécessité l’intervention d’un prêtre.
— Ah.
Audric Baillard pressa ses doigts les uns contre les autres.
Elle inspira profondément.
— L’abbé Saunière a pratiqué un exorcisme à la demande de mon oncle, n’est-ce pas ? Un tel… événement a-t-il eu lieu dans le sépulcre ?
Cette fois, après avoir posé sa question, Léonie se tut pour permettre au silence d’exercer sa force de persuasion. Pendant une éternité, lui sembla-t-il, on n’entendit que le tic-tac de l’horloge. Dans une pièce au bout du couloir, elle distinguait un lointain tintement de vaisselle et le frottement d’un balai sur le parquet en bois.
— Pour chasser le mal, finit-elle par dire. C’est bien ça ? J’ai ressenti sa présence à une ou deux reprises. Je comprends désormais que ma mère ait pu la ressentir, elle aussi, monsieur, quand elle était petite. Elle a quitté le Domaine dès qu’elle l’a pu.
72.
— Dans certains jeux de tarot, dit enfin Baillard, la carte représentant le Diable prend pour modèle la tête de Baphomet, l’idole que les Pauvres Chevaliers du Temple de Salomon furent accusés – à tort – d’adorer.
Léonie hocha la tête, bien qu’elle eût du mal à comprendre la pertinence de cette digression.
— On raconte qu’un presbytère des Templiers s’élevait non loin d’ici, à Bézu, reprit-il. Il n’a jamais existé. La mémoire collective a confondu les Albigeois et les Pauvres Chevaliers. Ils étaient bel et bien contemporains, mais n’avaient rien en commun. Il s’agit d’une coïncidence historique, pas d’une collusion.
— Mais quel rapport cela a-t-il avec le Domaine de la Cade, monsieur Baillard ?
Il sourit.
— Vous avez remarqué, lors de votre visite au sépulcre, la statue d’Asmodée ? Celle qui portait le bénitier ?
— En effet.
— Le nom d’Asmodée, qu’on appelle aussi Ashmadia ou Asmodia, est très probablement dérivé d’une variante du persan : l’expression aeshma-deva signifie démon du courroux. Asmodée apparaît dans le livre deutérocanonique de Tobie, et à nouveau dans le Testament de Salomon, un ouvrage épigraphique de l’Ancien Testament. Autrement dit, un ouvrage censé avoir été écrit par, et attribué à Salomon, ce qui est improbable du point de vue de la vérité historique.
Léonie hocha la tête, bien que sa connaissance de l’Ancien Testament fut assez restreinte. Ni elle ni Anatole n’avaient pris de cours de catéchisme. Les superstitions religieuses, affirmait leur mère, seyaient mal aux sensibilités modernes. Traditionnelle quant aux mœurs et à la bienséance, Marguerite s’opposait avec véhémence à l’Église. Léonie se demanda soudain, pour la première fois, si la violence des sentiments anticléricaux de sa mère tirait son origine de l’atmosphère du Domaine de la Cade, qu’elle avait dû supporter toute son enfance, et se promit de lui poser la question à la première occasion.
La voix calme de M. Baillard la tira de ses réflexions.
— On raconte que le roi Salomon invoqua Asmodée afin qu’il l’aide à construire le temple. Asmodée, démon associé à la concupiscence, lui est effectivement apparu, mais il prédit à Salomon que son royaume serait un jour divisé.
Baillard se leva, traversa la pièce et prit un petit livre relié en cuir brun sur une étagère. Il tourna les feuilles minces de ses doigts délicats jusqu’à ce qu’il retrouve le passage qu’il cherchait.
— Voilà : « Ma constellation est comme un animal qui repose dans sa tanière, dit le démon. Alors ne me demande pas autant de choses, Salomon, car un jour ton royaume sera divisé. Ta gloire n’est que temporaire. Tu nous auras à ta disposition pour nous tourmenter un court moment ; puis nous nous disperserons à nouveau parmi les hommes et nous serons adorés comme des dieux car les hommes ne savent pas le nom des anges qui règnent sur nous. » (Il referma le livre et leva les yeux.) Testament de Salomon, chapitre cinq, versets quatre et cinq.
Ne sachant comment réagir, Léonie garda le silence.
— Asmodée, comme je l’ai déjà dit, est un démon associé aux désirs charnels, reprit Baillard. Il est tout particulièrement l’ennemi des jeunes mariés. Dans le livre apocryphe de Tobie, il persécute une dénommée Sarah,
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