Sépulcre
tuant chacun de ses sept maris avant que le mariage soit consommé. La huitième fois, l’ange Raphaël recommande au dernier prétendant de placer le cœur et le foie d’un poisson sur des braises chauffées au rouge. La fumée nauséabonde rebute Asmodée et le pousse à fuir en Égypte, où Raphaël l’emprisonne et le prive de ses pouvoirs.
Léonie frissonna, non pas à cause de ces paroles, mais parce qu’elle se rappelait soudain la puanteur, vague mais répugnante, qui l’avait assaillie dans le sépulcre. Une odeur inexplicable d’humidité, de fumée et de mer.
— Ces paraboles vous semblent assez archaïques, n’est-ce pas ? dit son hôte. Elles sont censées exprimer une vérité plus profonde, mais souvent, elles ne servent qu’à la rendre plus obscure. (Il tapota le livre de ses longs doigts minces.) Dans le livre de Salomon, on dit aussi qu’Asmodée déteste être près de l’eau.
Léonie se redressa.
— D’où, peut-être, le bénitier posé sur ses épaules ? C’est pour ça, monsieur Baillard ?
— Peut-être, acquiesça-t-il. Asmodée apparaît dans d’autres ouvrages de commentaires religieux. Dans le Talmud, par exemple, il correspond à Ashmedai, personnage beaucoup moins maléfique que l’Asmodée de Tobie, qui convoite Bethsabée et les femmes de Salomon. Quelques années plus tard, au milieu du XV e siècle, Asmodai apparaît sous les traits du démon de la concupiscence dans le Malleus Maleficarum , catalogue assez simpliste, à mon sens, des démons et de leurs œuvres pernicieuses. Votre frère, qui est collectionneur, le connaît peut-être ?
Léonie haussa les épaules.
— C’est possible, oui.
— Certains croient que les différents démons ont des pouvoirs particuliers à différents moments de l’année.
— Et quand Asmodée est-il censé être le plus puissant ?
— Au mois de novembre.
— Novembre, répéta-t-elle. (Elle réfléchit un moment.) Mais, monsieur Baillard, que signifie ce mélange de superstitions et de suppositions – les cartes, le sépulcre, ce démon avec sa peur de l’eau et sa haine du mariage ?
Il rangea le livre sur l’étagère, puis s’approcha de la fenêtre et posa les mains sur le rebord en lui tournant le dos.
— Monsieur Baillard ? insista-t-elle.
Il se retourna. Un instant, le soleil cuivré se déversant par la grande fenêtre l’entoura d’une sorte de halo. Léonie eut l’impression de contempler l’un de ces prophètes de l’Ancien Testament que l’on voit dans les tableaux.
Puis il revint vers le centre de la pièce et l’illusion fut rompue.
— Cela signifie, madomaisèla, que quand les superstitions du village parlent d’un démon qui parcourt les vallées et les collines boisées, quand l’époque est aux bouleversements, nous ne devrions pas les considérer comme des contes. Il existe certains endroits – comme le Domaine de la Cade – où des forces anciennes sont à l’œuvre. (Il se tut un instant.) Certains choisissent de convoquer de telles créatures, de communiquer avec les esprits, sans comprendre qu’on ne peut pas être maître du mal.
Elle n’en croyait pas un mot, mais son cœur fit un bond.
— Et c’est cela qu’a fait mon oncle, monsieur Baillard ? Vous me demandez de croire que Jules Lascombe, par l’entremise des cartes et de l’esprit des lieux, a convoqué le démon Asmodée ? Qu’il s’est retrouvé incapable de le maîtriser ? Que toutes ces histoires de bête sont véridiques ? Que mon oncle est responsable, du moins moralement, de tous les meurtres qui ont eu lieu dans la vallée ? Et qu’il le savait ?
Audric Baillard soutint son regard.
— Il le savait.
— C’est pour cela qu’il a été obligé de faire appel à l’abbé Saunière, poursuivit-elle, pour bannir le monstre qu’il avait libéré ? (Elle se tut un instant.) Tante Isolde le savait-elle ?
— C’était avant qu’elle n’arrive. Elle n’était pas au courant.
Léonie se leva et s’approcha de la fenêtre.
— Je ne crois pas à toutes ces histoires de diables et de démons, déclara-t-elle brusquement. On ne peut donner foi à de tels contes dans le monde moderne.
Puis sa voix s’étrangla en songeant aux victimes.
— Ces pauvres enfants, murmura-t-elle.
Elle fit les cent pas. Les planches du parquet craquèrent sous ses pieds.
— Je n’y crois pas, répéta-t-elle d’une voix moins assurée.
— Le sang appelle le sang, dit Baillard
Weitere Kostenlose Bücher