Sépulcre
d’une voix douce. Certaines choses attirent le mal. Un lieu, un objet, une personne peuvent, par la force de leur volonté maléfique, attirer des malheurs, des méfaits, des péchés.
Léonie s’immobilisa, car ses pensées suivaient un autre chemin. Elle dévisagea son hôte, puis s’affala à nouveau dans son fauteuil.
— À supposer que j’accorde crédit à de telles histoires, qu’en est-il du jeu de cartes, monsieur Baillard ? Si je ne m’abuse, vous laissez entendre qu’elles peuvent agir pour le bien ou le mal, selon les circonstances.
— En effet. Voyez comme l’épée peut être l’instrument du bien ou du mal. C’est la main qui la brandit qui en décide, pas l’acier.
Léonie hocha la tête.
— Quelle est la provenance des cartes ? Qui les a peintes à l’origine, et dans quel but ? Quand j’ai lu pour la première fois le livre de mon oncle, j’ai cru comprendre que les images sur le mur du sépulcre étaient capables, d’une quelconque manière, d’en descendre pour s’imprimer sur les cartes.
Audric Baillard sourit.
— Si c’était le cas, madomaisèla Léonie, il n’y aurait que huit cartes, alors qu’il y a un jeu complet.
Son cœur se serra.
— Oui, sans doute. Je n’y avais pas songé.
— Cependant, reprit-il, cela ne signifie pas pour autant qu’il n’y ait pas un grain de vérité dans ce que vous dites.
— Dans ce cas, monsieur Baillard, pourquoi ces huit images en particulier ? (Ses yeux verts scintillaient car une nouvelle idée lui était venue.) Serait-il possible que les images figurant sur les murs soient celles que mon oncle a convoquées ? Et que, dans une autre situation, une autre communication du même genre entre les mondes, d’autres images, d’autres cartes, apparaîtraient à leur tour sur les murs ? (Elle se tut un instant.) Des images provenant de tableaux, par exemple ?
Audric Baillard se permit un léger sourire.
— Les cartes de moindre importance, les simples cartes à jouer, remontent à une époque infortunée où la foi poussa à nouveau les hommes à se massacrer, à opprimer et à chasser l’hérésie, plongeant le monde dans un bain de sang.
— Les Albigeois ? lança Léonie en se rappelant les conversations d’Anatole et d’Isolde au sujet de l’histoire tragique du Languedoc au XIII e siècle.
Il eut un hochement de tête résigné.
— Ah, si seulement l’on pouvait tirer les leçons du passé, madomaisèla. Mais ce n’est pas le cas, hélas.
Ces mots prononcés d’une voix grave semblaient chargés d’une sagesse vieille de plusieurs siècles. Léonie, qui ne s’était jamais intéressée aux événements du passé, avait soudain envie de les comprendre.
— Je ne parle pas des Albigeois, madomaisèla Léonie, mais de guerres de religion plus tardives, des conflits du XVI e siècle entre la maison catholique des Guises et ce que j’appellerai, pour simplifier, la maison huguenote des Bourbons. Comme toujours, et il en sera peut-être à jamais ainsi, les exigences de la foi devinrent très vite inextricablement liées à celles du territoire et du pouvoir.
— Les cartes remontent à cette époque ? l’aiguillonna-t-elle.
— Les cinquante-six cartes originales, simplement destinées à passer les longues soirées d’hiver, reprenaient pour l’essentiel la tradition du jeu italien des tarrochi. Une centaine d’années avant l’époque dont je vous parle, la cour et la noblesse italiennes s’adonnaient à ce genre de distraction. Quand la République est née, les figures royales furent remplacées par celles du Maître et de la Maîtresse, du Fils et de la Fille, comme vous l’avez constaté.
— La Fille d’Épées, dit-elle en se rappelant l’image au mur du sépulcre. Quand ?
— Ce n’est pas très clair. Il semblerait qu’à l’époque de la Révolution française le tarot soit devenu une méthode de divination, une façon de relier le visible et le connu à l’invisible et à l’inconnu.
— Alors le jeu de cartes se trouvait déjà au Domaine de la Cade ?
— Les cinquante-six cartes étaient possédées par la maison, si vous voulez, plutôt que par les individus qui s’y trouvaient. Le vieil esprit des lieux était à l’œuvre ; les légendes et les rumeurs investissaient les cartes d’un sens et d’un but supplémentaires. Les cartes attendaient celui qui compléterait la séquence.
— Mon oncle.
C’était une affirmation, pas une
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