Sépulcre
question. Baillard hocha la tête.
— Lascombe avait lu les livres publiés par les cartomanciens de Paris – des ouvrages anciens comme celui d’Antoine Court de Gébelin, les écrits contemporains d’Éliphas Lévi et de Romain Merlin – et il en avait été séduit. Au jeu de cartes dont il avait hérité, il ajouta les vingt-deux arcanes majeurs – ceux qui parlent des tournants fatidiques de la vie et de l’au-delà – et il fixa ceux qu’il voulait convoquer au mur du sépulcre.
— Mon oncle a peint les vingt-deux cartes supplémentaires ?
— En effet. (Il se tut un instant.) Alors vous croyez vraiment, madomaisèla Léonie, que par l’intermédiaire des cartes du tarot – dans un lieu précis et des conditions qui rendent de telles choses possibles – les démons et les fantômes peuvent être convoqués ?
— Cela n’est guère plausible, monsieur Baillard, et pourtant, je constate que je le crois, en effet. (Elle se tut et réfléchit un instant.) Ce que je ne comprends pas, toutefois, c’est la façon dont les cartes contrôlent les esprits.
— Justement pas, et c’est l’erreur qu’a commise votre oncle. Les cartes peuvent convoquer les esprits, certes, mais jamais les contrôler. Les images recèlent toutes les possibilités – tous les caractères, tous les désirs humains, bénéfiques ou maléfiques, toutes nos histoires entremêlées – mais, si on les libère, elles assument une vie autonome.
— Je ne comprends pas, dit Léonie en fronçant les sourcils.
— Les images sur le mur sont les empreintes des dernières cartes convoquées à cet endroit. Mais si l’on modifiait, d’un coup de pinceau, les traits de l’une ou l’autre de ces cartes, ces images en reprendraient les caractéristiques. Les cartes peuvent raconter des histoires différentes.
— Cela serait-il vrai où que se trouvent les cartes ? Ou seulement au Domaine de la Cade, dans le sépulcre ?
— C’est la combinaison, madomaisèla, de l’image, du son et de l’esprit des lieux qui engendre ce phénomène. En cet unique endroit. En même temps, le lieu influe sur les cartes. Ainsi, par exemple, il se peut que La Force se soit désormais spécifiquement attachée à vous, par l’intermédiaire de votre aquarelle.
Léonie le dévisagea.
— Mais je n’ai pas vu les cartes. D’ailleurs, je n’ai pas peint des cartes, simplement des reproductions, sur un papier ordinaire, de ce que j’ai vu aux murs.
Il sourit lentement.
— Les choses ne sont pas toujours aussi simples, madomaisèla. De plus, vous ne vous êtes pas contentée de vous représenter vous-même dans ces aquarelles, n’est-ce pas ? Vous avez aussi peint les portraits de votre frère et de votre tante.
Elle rougit.
— Ce ne sont que des souvenirs de notre séjour.
— Peut-être. Grâce à ces œuvres, vos histoires perdureront alors que vous-même ne serez plus là pour les raconter.
— Vous me faites peur, monsieur, s’écria-t-elle.
— Ce n’était pas mon intention.
Léonie hésita un instant avant de poser la question qui lui brûlait les lèvres depuis qu’elle avait découvert l’existence des tarots.
— Le jeu de carte existe-t-il toujours ?
Il la fixa de son regard avisé.
— Oui, il existe, répondit-il enfin.
— Dans la maison ? demanda-t-elle aussitôt.
— L’abbé Saunière a supplié votre oncle de brûler les cartes, afin qu’aucun homme ne soit tenté de les utiliser. Il voulait aussi détruire le sépulcre. (Baillard secoua la tête.) Mais Jules Lascombe était un érudit. Il ne pouvait pas plus détruire quelque chose d’aussi ancien que l’abbé ne pouvait renier son Dieu.
— Les cartes sont-elles cachées dans le domaine ? Je suis certaine qu’elles ne se trouvent pas dans le sépulcre.
— Elles sont en sécurité. Cachées sous le lit tari de la rivière, là où les rois anciens furent jadis ensevelis.
— Mais si c’est le cas, alors…
Audric Baillard posa un doigt sur ses lèvres.
— Je vous ai raconté ceci pour apaiser votre nature inquisitrice, madomaisèla Léonie, pas pour attiser votre curiosité. Je comprends ce qui a pu vous attirer dans cette histoire : votre désir de mieux comprendre votre famille et les événements qui ont façonné sa destinée. Mais je répète mon avertissement : il est dangereux de tenter de retrouver les cartes, surtout en ce moment, dans une conjoncture aussi précaire.
— En ce moment ? Que
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