Sépulcre
aurions dû – te communiquer depuis longtemps. Isolde l’aurait fait, mais je me croyais le meilleur juge en la matière.
— Anatole ! s’exclama-t-elle en le secouant par le bras. Dis-moi !
— Il vaut mieux que tu sois seule pour lire. Une situation bien plus grave requiert mon attention pressante, et ton aide.
Il dégagea son bras de la petite main de Léonie et lui tendit la lettre.
— J’espère que tu pourras me pardonner, dit-il, la voix rauque. J’attendrai dehors.
Sans un mot de plus, il traversa la pièce, ouvrit brusquement la porte et disparut.
La porte se referma en claquant. Le silence retomba.
Abasourdie et bouleversée par la souffrance évidente d’Anatole, Léonie contempla l’enveloppe. Son propre nom était inscrit à l’encre noire de la main élégante et romantique d’Anatole.
Elle la fixa, redoutant ce qu’elle pouvait contenir, puis la déchira pour l’ouvrir.
Ma chère petite Léonie,
Tu m’as toujours accusé de te traiter en enfant, même à l’époque où tu étais encore en rubans et en jupe courte et que j’avais du mal à apprendre mes leçons. Cette fois, tes accusations sont fondées. Car demain soir à la tombée du jour, j’affronterai, dans une clairière du bois de hêtres, l’homme qui a fait tout ce qui était en son pouvoir pour nous perdre.
Si l’issue du duel ne m’est pas favorable, je ne veux pas te laisser sans réponse face à toutes les questions que tu m’aurais sûrement posées. Quelle que soit cette issue, je veux que tu saches la vérité.
J’aime Isolde de tout mon cœur et de toute mon âme. C’est à son enterrement que tu t’es rendue en mars dernier. Grâce à ce subterfuge désespéré, elle tentait – nous tentions – de nous prémunir contre les intentions violentes d’un homme avec lequel elle avait eu une brève et malencontreuse liaison. Feindre sa mort et ses obsèques nous semblait la seule façon de la tirer de la terreur dans laquelle elle vivait.
Léonie tendit la main derrière elle et trouva à tâtons le dossier du fauteuil. Elle s’y posa prudemment.
J’avoue que je m’attendais à ce que tu perces à jour notre supercherie. Au cours de ces mois pénibles du printemps et du début de l’été, alors même que l’on m’éreintait dans les journaux, je croyais à tout moment que tu arracherais le masque, mais j’ai trop bien joué mon rôle. Toi, si sincère de cœur et d’intention, comment aurais-tu pu te douter que mes lèvres pincées et mes yeux hagards n’étaient pas dus à la débauche, mais à la douleur ?
Je dois te dire qu’Isolde n’a jamais souhaité te mentir. Dès que nous sommes arrivés au Domaine de la Cade et qu’elle t’a connue, elle a été convaincue que ton amour pour moi – elle espérait qu’avec le temps, tu éprouverais pour elle le même amour fraternel – te permettrait d’oublier les considérations morales et de nous soutenir dans notre subterfuge.
Comme un imbécile, je ne l’ai pas écoutée.
Tout en écrivant ceci, à la veille de ce qui sera peut-être mon dernier jour sur terre, j’avoue que mon plus grand défaut a été la lâcheté morale – un défaut parmi tant d’autres.
Mais ces dernières semaines passées avec Isolde et toi dans les sentiers et les jardins paisibles du Domaine de la Cade ont été merveilleuses.
Il y a autre chose. Une dernière duperie. À défaut de me pardonner, je prie pour qu’au moins tu me comprennes. À Carcassonne, tandis que tu explorais innocemment les rues, Isolde et moi nous sommes mariés. Elle est désormais M me Vernier, ta sœur selon la loi aussi bien que par l’affection.
Et je serai bientôt père.
Mais en ce jour qui devait être si heureux, nous avons appris qu’il nous avait débusqués. Voilà la véritable explication de notre départ précipité. Voilà aussi l’explication du dépérissement d’Isolde et de sa fragilité. Sa santé ne résistera pas à ces assauts répétés sur ses nerfs. L’affaire ne peut rester en suspens.
Après avoir percé à jour la supercherie des funérailles, il a réussi à nous débusquer, d’abord à Carcassonne, puis à Rennes-les-Bains. Voilà pourquoi j’ai relevé son défi. C’est la seule façon de résoudre l’affaire pour de bon.
Demain soir, je vais l’affronter. Je te demande ton aide, sœurette, comme j’aurais dû le faire il y a plusieurs mois. J’ai grand besoin de tes services : mon Isolde bien-aimée ne doit
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