Sépulcre
qu’elle n’eût besoin d’aucune confirmation. Elle savait qu’il s’agissait bien de lui.
Une rage soudaine, violente, totale, fondit sur elle. Sans égard pour sa propre sécurité, elle s’arracha aux ombres protectrices des arbres pour foncer vers la clairière, courant vers le groupe d’hommes qui entourait Anatole et Gabignaud.
Le docteur semblait tétanisé, tellement stupéfait qu’il était incapable d’agir. Il se redressa en titubant, faillit perdre pied et se tourna, l’œil hagard, vers Constant et ses hommes, puis, ahuri, vers Charles Denarnaud, qui avait fouillé Constant et prétendu que les règles du duel avaient été respectées.
Léonie atteignit d’abord Isolde. Elle se jeta par terre auprès d’elle et souleva sa cape. L’étoffe gris pâle du côté gauche de sa robe était teinté d’écarlate, comme par une fleur de serre obscène. Léonie retira son gant et, relevant la manche d’Isolde sur son bras, chercha son pouls. Il était faible, mais il battait. Un peu de vie demeurait en elle. Rapidement, elle passa les mains sur le corps prostré d’Isolde et vit que la balle l’avait atteinte au bras. Si elle ne perdait pas trop de sang, elle survivrait.
— Docteur Gabignaud, vite ! s’écria-t-elle. Aidez-la. Pascal !
Ses pensées se tournèrent ensuite vers Anatole. La buée ténue qui sortait de sa bouche et de ses narines dans la pénombre lui fit espérer que lui non plus n’était pas mortellement blessé.
Elle se redressa et fit un pas vers son frère.
— Je vous serais reconnaissant de rester où vous êtes, mademoiselle Vernier. Vous aussi, Gabignaud.
La voix de Constant l’arrêta net. Léonie venait de se rendre compte qu’il pointait son arme sur elle, doigt sur la détente, prêt à appuyer dessus, et qu’il ne s’agissait pas d’un pistolet de duel. D’ailleurs, elle reconnaissait le Protector, destiné à être glissé dans une poche ou un sac à main. Sa mère possédait une arme identique.
Il avait d’autres balles.
Léonie se dégoûtait d’avoir imaginé Constant en train de lui murmurer des mots tendres à l’oreille. De l’avoir encouragé à lui faire la cour, sans égard pour sa pudeur ou sa réputation.
Et c’est moi qui l’ai conduit à eux, pensa-t-elle.
Elle s’obligea à retrouver son sang-froid. Elle releva le menton et le regarda droit dans les yeux.
— Monsieur Constant, cracha-t-elle, comme si ce nom était un poison roulant sur sa langue.
— Mademoiselle Vernier, répondit-il, pointant son arme sur Gabignaud et Pascal. Quel plaisir inattendu. Je m’étonne que Vernier ait voulu vous exposer à de telles horreurs.
Elle jeta un coup d’œil à Anatole, puis regarda à nouveau Constant.
— Je suis ici de mon propre chef.
Constant fit un signe de la tête. Son valet s’avança, suivi d’un soldat loqueteux que reconnut Léonie : c’était lui qui l’avait suivie d’un regard impertinent quand elle était entrée dans la cité médiévale de Carcassonne. Désespérée, elle comprit que Constant n’avait rien laissé au hasard.
Les deux hommes s’emparèrent de Gabignaud, lui coincèrent les bras derrière le dos et jetèrent sa lampe par terre. Léonie entendit le verre se fracasser tandis que la flamme s’éteignait avec un sifflement dans les feuilles humides. Puis, avant qu’elle ne comprenne ce qui se passait, le plus grand des deux hommes tira une arme de sa poche, la colla sur la tempe de Gabignaud et appuya sur la détente.
La force de l’impact souleva Gabignaud de terre. L’arrière de sa tête explosa, inondant son bourreau de sang et d’éclats d’os. Son corps tressaillit, eut un mouvement convulsif puis s’immobilisa.
Comme on met peu de temps à tuer un homme, à séparer son âme de son corps.
Cette idée lui traversa l’esprit une seconde. Puis Léonie pressa la main contre sa bouche, sentant la nausée lui monter dans la gorge, se plia en deux et vomit.
Du coin de l’œil, elle aperçut Pascal qui reculait d’un pas, puis d’un autre. Elle n’arrivait pas à croire qu’il s’apprêtât à fuir – elle n’avait jamais douté de sa loyauté ni de sa résolution – mais que pouvait-il faire d’autre ?
Puis il croisa son regard et baissa les yeux pour lui faire comprendre son intention.
Léonie se redressa et se tourna vers Charles Denarnaud.
— Monsieur, dit-elle d’une voix forte pour faire diversion, je suis étonnée de trouver en vous un allié de cet
Weitere Kostenlose Bücher