Sépulcre
dos.
Ripostant aussitôt, Constant tira dans le noir mais rata sa cible. Léonie entendit Pascal dans les broussailles et comprit qu’il contournait Constant.
Sur l’ordre de Constant, le vieux soldat s’approcha de l’endroit où gisait Léonie. L’autre homme s’élança vers l’orée du bois, à la recherche de Pascal, tirant au hasard.
— Il est ici ! cria-t-il à son maître.
Constant fit à nouveau feu. Une fois de plus, il rata sa cible.
Soudain, la vibration d’un pas de course résonna sur le sol. Léonie leva la tête vers l’endroit d’où provenait le bruit et entendit des cris.
— Arèst !
Elle reconnut la voix de Marieta dans l’obscurité, puis d’autres voix. Plissant les yeux, elle discerna la lueur de plusieurs lanternes se rapprochant, se précisant, oscillant dans l’obscurité. Le fils du jardinier, Émile, surgit de l’autre côté de la clairière, brandissant un flambeau d’une main et un bâton de l’autre.
Léonie vit que Constant analysait la situation. Il fit feu, mais le garçon, plus rapide, s’abrita derrière un hêtre. Constant tendit le bras droit devant lui et fit à nouveau feu dans le noir. Puis le visage tordu par la démence, il se tourna vers Anatole et lui tira deux balles dans le torse.
Léonie hurla.
— Non !
Elle rampa, désespérée, vers le sol boueux où gisait son frère.
— Non !
Les domestiques, qui étaient huit avec Marieta, se précipitèrent vers eux.
Constant ne s’attarda pas. Jetant son manteau sur son épaule, il traversa la clairière pour gagner la pénombre, là où son fiacre l’attendait.
— Pas de témoins, ordonna-t-il.
Sans un mot, son valet se tourna vers le vieux soldat et lui tira une balle dans la tête. Pendant un instant, le visage de l’homme agonisant eut une expression stupéfaite. Puis il tomba à genoux et s’écroula tête la première.
Pascal sortit de l’ombre et fit feu. Constant tituba et faillit s’effondrer, mais il continua à avancer en boitant vers la voiture. Dans le vacarme et le chaos, elle entendit les portes de la voiture claquer, les harnais et les lampes cliqueter, tandis que la voiture fonçait vers les bois, en direction du portail arrière du domaine.
Marieta s’occupait déjà d’Isolde. Pascal s’élança vers Léonie et s’accroupit auprès d’elle. Un sanglot échappa à la jeune fille. Elle se leva péniblement et trébucha jusqu’au corps de son frère, à quelques mètres de là.
— Anatole ? murmura-t-elle.
Elle lui entoura les épaules du bras, le secoua, tenta de le réveiller.
— Anatole, s’il te plaît.
Il ne bougeait pas.
Léonie agrippa la lourde étoffe du pardessus d’Anatole pour le retourner sur le ventre. Elle retint son souffle, tant il y avait de sang par terre, à l’endroit où il gisait, le corps troué de balles. Elle berça la tête de son frère dans ses bras et repoussa ses cheveux de son visage. Ses yeux bruns étaient grands ouverts, mais sa vie s’était éteinte.
83.
Après la fuite de Constant, tout alla très vite.
Aidée par Pascal, Marieta entraîna Isolde, à peine consciente, jusqu’au cabriolet de Denarnaud pour la ramener à la maison. Bien que sa blessure au bras ne fut pas grave, elle avait perdu beaucoup de sang. Léonie lui parla, mais Isolde ne répondit rien. Elle se laissa emmener, sans sembler reconnaître rien ni personne. Elle était de ce monde, mais hors du monde.
Léonie avait froid, elle tremblait dans ses vêtements imprégnés d’odeurs de sang, de poudre et de terre humide, mais elle refusa de quitter Anatole. Le fils du jardinier et les valets d’écurie improvisèrent un brancard avec leurs manteaux et les manches des armes dont ils s’étaient servis pour chasser Constant et ses hommes. Ils transportèrent le corps sans vie d’Anatole sur leurs épaules, à pied. Leurs flambeaux crépitaient férocement dans l’air noir et glacial. Léonie, pleureuse solitaire, suivit ce cortège funèbre improvisé.
On transporta également le D r Gabignaud. On enverrait la charrette plus tard pour prendre les corps du vieux soldat et du traître Denarnaud.
Les nouvelles de la tragédie qui avait frappé le Domaine de la Cade s’étaient déjà répandues quand Léonie parvint à la maison. Pascal avait envoyé un messager à Rennes-le-Château pour apprendre la catastrophe à Béranger Saunière et lui demander de venir. Marieta avait envoyé chercher à Rennes-les-Bains une femme qui
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