Sépulcre
de l’allée, où les attendait la voiture de Denarnaud.
Anatole salua d’un signe de tête Gabignaud, dont l’expression trahissait le peu d’envie qu’il avait de prendre part à cette expédition. Charles Denarnaud serra la main d’Anatole.
— Vernier et le docteur montent derrière, annonça Denarnaud d’une voix qui résonna dans l’air glacé du crépuscule. Votre homme et moi, nous monterons devant.
La capote était relevée. Gabignaud et Anatole montèrent. Denarnaud et Pascal, qui semblait mal à l’aise en cette compagnie, leur faisaient face. Le long coffret à pistolets était posé en équilibre sur leurs genoux.
— Vous connaissez le lieu de rendez-vous, Denarnaud ? demanda Anatole. La clairière dans la forêt de hêtres à l’est de la propriété ?
Denarnaud se pencha à la portière pour donner ses instructions. Le cocher donna une chiquenaude aux rênes et le cabriolet s’ébranla, les harnais et les brides tintant dans l’air du soir.
Denarnaud était le seul qui ait envie de parler. Il racontait des duels auxquels il avait assisté, dont le principal protagoniste s’était toujours tiré sain et sauf, de justesse. Anatole comprit qu’il tentait de le rassurer, mais il aurait préféré qu’il se taise.
Assis droit comme un « i », il contemplait la campagne automnale en se disant que c’était peut-être la dernière fois qu’il voyait le monde. L’allée d’arbres bordant l’avenue était couverte de givre. Le parc résonnait du bruit lourd des sabots. Le ciel d’un bleu de plus en plus sombre semblait scintiller comme un miroir, tandis qu’une lune pâle se levait, blanche et splendide.
— Ce sont mes propres pistolets, expliqua Denarnaud. Je les ai chargés moi-même. Le coffret est scellé. Vous tirerez au sort pour savoir si l’on utilise ceux-ci ou ceux de votre adversaire.
— Je sais, fit sèchement Anatole, puis regrettant son ton abrupt, il ajouta : Je vous présente mes excuses, Denarnaud. J’ai les nerfs à vif. Je vous suis très reconnaissant de votre assistance.
— Il vaut toujours mieux réviser les règles, affirma Denarnaud d’une voix plus sonore que ne le justifiaient la situation et l’espace confiné du cabriolet.
Anatole comprit alors que Denarnaud était nerveux, lui aussi, malgré ses fanfaronnades.
— Mieux vaut éviter les malentendus. Autant que je sache, on fait peut-être les choses autrement à Paris.
— Je ne crois pas.
— Vous vous êtes exercé au tir, Vernier ?
Anatole hocha la tête.
— Avec des pistolets qui se trouvaient à la maison.
— Vous êtes sûr de vous ?
— J’aurais aimé avoir plus de temps.
Le cabriolet prit un virage et se mit à rouler sur un terrain plus accidenté.
Anatole tenta de se représenter son Isolde chérie, endormie dans son lit, ses cheveux étalés sur l’oreiller, ses sveltes bras blancs. Il songea aux yeux brillants, verts et interrogateurs de Léonie. Au visage de l’enfant à naître. Il tenta de graver leurs traits bien-aimés dans son esprit.
Je fais ceci pour eux, songea-t-il.
Mais le monde s’était rétréci jusqu’à se résumer au cabriolet cahotant, à la boîte en bois sur les genoux de Denarnaud, à la respiration rapide et nerveuse de Gabignaud.
Anatole sentit le cabriolet virer à gauche. Sous les roues, le sol devint encore plus inégal. Soudain, Denarnaud tapa sur la portière et cria au cocher de prendre un petit chemin sur la droite.
Le cabriolet emprunta un sentier en terre qui courait entre les arbres pour déboucher sur une clairière. Une autre voiture s’était rangée au bout de cette clairière. Avec un coup au cœur, bien qu’il s’y attendît, Anatole reconnut les armoiries or sur noir de Victor Constant, comte de Tourmaline. Deux chevaux bais, empanachés et portant des œillères, frappaient de leurs sabots le sol dur et froid. Un petit groupe d’hommes se tenait près d’eux.
Denarnaud descendit le premier, suivi de Gabignaud, puis de Pascal portant le coffret à pistolets. Anatole descendit enfin. Même à cette distance, parmi ces hommes tous vêtus de noir, il distinguait Constant. Avec un frisson de révulsion, il reconnut aussi les traits grêlés, rongés de cloques rouge vif, de l’un des deux hommes qui l’avaient agressé la nuit de l’émeute de l’Opéra, au passage des Panoramas. Un homme plus petit se tenait à côté de lui, un vieux soldat à tête de débauché, portant une cape de grognard.
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