Sépulcre
d’émotion. Il pensait n’avoir rien fait et pourtant les muscles de son bras s’étaient contractés et son doigt avait pressé la détente ; il y eut un bruit sec quand le percuteur se libéra. Il vit la poudre s’enflammer et la bouffée de fumée s’élever dans l’air. Deux détonations retentirent dans la clairière. Les oiseaux s’envolèrent des cimes des arbres environnants dans un grand froissement d’ailes affolé.
Anatole eut le souffle coupé. Ses jambes se dérobèrent sous lui. Il tombait, il tombait à genoux sur la terre dure, en pensant à Isolde et Léonie, puis une chaleur se répandit sur sa poitrine, comme un bain chaud, suintant sur son corps transi.
— Il est touché ?
La voix de Gabignaud, peut-être ? Peut-être pas.
Des silhouettes sombres l’entourèrent, mais il n’arrivait plus à identifier Gabignaud ou Denarnaud, il ne voyait plus qu’une forêt de pantalons noirs rayés de gris, des mains emmitouflées dans des gants fourrés, de lourdes bottes. Puis il entendit quelque chose. Un cri sauvage, son nom charrié par la souffrance et le désespoir, déchirant l’air glacial.
Anatole s’effondra sur le flanc. Il s’imaginait entendre la voix d’Isolde qui l’appelait. Mais aussitôt, il comprit que les autres entendaient aussi ces cris. Le groupe qui l’entourait s’écarta, assez pour qu’il la voie s’élancer vers lui d’entre les arbres, suivie de Léonie.
— Non, Anatole, non ! hurlait Isolde. Non !
Autre chose attira son attention, à la lisière de son champ visuel, malgré le voile noir qui tombait sur ses yeux. Il tenta de s’asseoir ; une douleur au flanc, aussi cruelle qu’un coup de couteau, lui coupa le souffle. Il tendit la main, mais ses forces le quittaient. Il s’affala.
Tout bougeait au ralenti. Anatole comprit ce qui allait se produire. Ses yeux le trahissaient-ils ? Denarnaud l’avait assuré que tout était en règle. Un coup de pistolet, un seul. Pourtant, Constant laissait tomber son pistolet de duel, fouillait dans sa veste et en tirait une deuxième arme, si petite que le canon tenait entre son index et son majeur. Son bras continua à s’élever, puis se tendit vers la droite et fit feu.
Une deuxième arme, alors qu’il aurait dû n’y en avoir qu’une seule.
Anatole retrouva enfin sa voix pour crier. Trop tard.
Le corps d’Isolde se figea, resta suspendu un instant dans les airs, puis fut renversé par la force de l’impact. Ses yeux s’écarquillèrent, d’abord de surprise, puis de choc et enfin de douleur. Il la regarda tomber. Comme lui, par terre.
Anatole sentit un cri lui déchirer la poitrine. Autour de lui, au sein du chaos et des hurlements, il crut entendre un rire, mais c’était impossible. Son regard aveuglé passa du noir au blanc, drainant toute la couleur du monde.
Ce rire fut le dernier son qu’il entendit avant que les ténèbres se referment sur lui.
82.
Un hurlement fendit l’air. Léonie l’entendit, sans comprendre que ce cri était sorti de ses lèvres.
Elle resta un moment figée sur place, incapable de croire le témoignage de ses yeux. La clairière et chaque personne qui s’y trouvait semblaient fixées par l’objectif d’un appareil photo. Sans vie, sans mouvement, comme la reproduction sur carte postale de leurs êtres de chair et de sang.
Puis la réalité déferla à nouveau sur elle, la frappant de plein fouet. Léonie scruta l’obscurité.
Isolde gisait sur la terre humide, sa robe grise tachée de sang.
Anatole luttait pour se hisser sur un coude, le visage creusé par la douleur, avant de s’effondrer. Gabignaud était accroupi à côté de lui.
Mais ce qui la choqua le plus profondément fut le visage de leur assassin. L’homme qu’Isolde redoutait tellement, qu’Anatole détestait par-dessus tout, se dressait devant elle.
Le sang de Léonie se glaça et son courage l’abandonna.
— Non, murmura-t-elle.
Une culpabilité acérée comme un éclat de verre la transperça. L’humiliation, puis la colère, la submergèrent comme un fleuve en crue. À peine à deux pas d’elle se tenait l’homme qui hantait ses pensées les plus intimes, celui dont elle rêvait depuis Carcassonne. Victor Constant.
L’assassin d’Anatole. Le persécuteur d’Isolde.
Était-ce elle qui l’avait conduit jusqu’ici ?
Léonie éleva sa lampe jusqu’à ce qu’elle distingue nettement les armoiries de la porte du cabriolet rangé un peu à l’écart, bien
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