Sépulcre
prendre une décision.
— Il y a du feu au salon, dit-elle.
Le petit groupe traversa le vestibule carrelé et Léonie ouvrit la porte.
Dans cette pièce, tant de souvenirs d’Anatole lui revinrent qu’elle défaillit. Elle le revoyait debout près de la cheminée, les cheveux brillants, dans son habit à queue-de-pie, tournant le dos au feu pour se réchauffer. Ou alors près de la fenêtre, une cigarette entre les doigts, en train de parler au D r Gabignaud, lors du grand dîner. Ou encore penché au-dessus du tapis de cartes en reps vert, les regardant tandis qu’elle jouait au vingt-et-un avec Isolde. La pièce était imprégnée de sa présence et Léonie ne s’en apercevait que maintenant, avec douleur.
Thouron relata les événements de la nuit du meurtre de sa mère le 20 septembre, tels qu’ils les avaient reconstitués : la découverte du corps, puis les pénibles avancées de l’enquête qui les avaient menés jusqu’à Carcassonne, et de là à Rennes-les-Bains.
Léonie entendait ces paroles comme si elles lui parvenaient de très loin. Bien que Thouron parlât de Marguerite – et qu’elle aimât sa mère –, la perte d’Anatole avait dressé un mur autour de son cœur, qui ne permettait à aucune autre émotion d’y accéder. Le temps viendrait de pleurer Marguerite. Et aussi le docteur, si gentil, si honorable. Mais pour l’instant, seul Anatole – et la promesse qu’elle avait faite à son frère de protéger sa femme et son enfant – avait prise sur son esprit.
— Donc, conclut Thouron, le concierge a avoué qu’il avait été payé pour transmettre toute correspondance. La bonne des Debussy a également confirmé qu’elle avait vu un homme traîner dans la rue de Berlin au cours des jours précédant et suivant le… l’événement. (Thouron se tut un instant.) D’ailleurs, sans la lettre adressée par votre frère à votre mère, nous ne serions jamais parvenus à vous retrouver.
— Vous avez identifié l’homme, Thouron ? s’enquit Baillard.
— Nous avons seulement son signalement. Un individu patibulaire au teint rougeaud, chauve ou presque, avec un cuir chevelu couvert de cloques.
Léonie sursauta. Trois paires d’yeux se braquèrent sur elle.
— Vous le connaissez, mademoiselle Vernier ? demanda Thouron.
Elle le revit pointer son arme vers la tempe du D r Gabignaud et appuyer sur la détente. L’explosion d’os et de sang maculant la clairière.
Elle inspira profondément.
— C’est le domestique de Victor Constant.
Thouron et Bouchou échangèrent un regard.
— Le comte de Tourmaline ?
— Je vous demande pardon ?
— C’est le même homme. Constant. Tourmaline. Il porte l’un ou l’autre nom au gré des circonstances ou de la compagnie.
— Il m’a donné sa carte, dit-elle d’une voix hagarde. Victor Constant.
Elle sentit la pression rassurante de la main d’Audric Baillard sur son épaule.
— Le comte de Tourmaline est-il soupçonné dans cette affaire, inspecteur Thouron ? s’enquit-il.
Le policier hésita, puis, décidant qu’il ne gagnait rien à dissimuler ce qu’il savait, il hocha la tête.
— Et lui aussi, nous l’avons appris, est descendu de Paris dans le Midi, quelques jours après le défunt M. Vernier.
Léonie n’entendait rien. Elle ne songeait plus qu’à la façon dont son cœur avait bondi lorsque Victor Constant lui avait pris la main et dont elle avait rêvé de lui jour et nuit.
C’était elle qui l’avait conduit jusqu’ici. Par sa faute, Anatole était mort.
— Léonie, demanda doucement M. Baillard. Est-ce bien ce Constant qui persécutait M me Isolde Vernier ? Et avec qui Anatole s’est battu en duel ce soir ?
— C’est lui, confirma Léonie d’une voix éteinte.
— D’après vos expressions, messieurs, dit-il en glissant le verre entre les doigts glacés de la jeune fille, je crois que cet homme ne vous est pas inconnu.
— En effet, confirma Thouron. Son nom est revenu plusieurs fois au cours de l’enquête, mais nous n’avons jamais trouvé de preuves nous permettant de l’incriminer. Il menait une vendetta contre M. Vernier, une campagne astucieuse et secrète jusqu’à ces dernières semaines, où il est devenu moins prudent.
— Ou plus arrogant, intervint Bouchou. Il y a eu un incident dans un… certain établissement du quartier Barbès à Carcassonne. Une fille a été gravement défigurée.
— D’après nous, son comportement de plus
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