Sépulcre
qu’une étincelle s’y ranimait. Pendant une seconde, le chagrin et les souvenirs s’embrasaient dans ses yeux, avant qu’une chape de ténèbres s’abatte à nouveau sur elle. Parfois, Isolde émergeait de l’ombre comme le soleil qui point entre les nuages. Mais quand les voix qui la hantaient revenaient, elle pressait les mains contre ses oreilles en pleurant, et Marieta la ramenait doucement à l’intimité et à la pénombre de sa chambre, en attendant des jours meilleurs. Les périodes d’accalmie devenaient plus courtes. Les ténèbres qui l’enveloppaient s’épaississaient. Anatole n’était jamais loin de ses pensées. Pour sa part, Louis-Anatole acceptait sa mère comme elle était – il ne l’avait jamais connue autrement.
Ce n’était pas là l’existence dont Léonie avait rêvé. Elle aurait voulu aimer, voir le monde, être elle-même.
Mais elle adorait son neveu et elle avait pitié d’Isolde ; déterminée à respecter la parole donnée à Anatole, elle accomplissait son devoir sans fléchir.
Aux automnes cuivrés succédaient les hivers glaciaux ; à Paris, la neige recouvrait d’un manteau blanc la tombe de Marguerite Vernier. Les printemps verdoyants cédaient la place aux cieux d’or flamboyants et aux pâturages brûlés par le soleil, et les buis s’enchevêtraient sur la tombe modeste d’Anatole, surplombant le lac du Domaine de la Cade.
La terre, le vent, l’eau et le feu, éléments éternels de la Nature.
Leur existence paisible n’allait pas durer. En 1897, entre Noël et le Nouvel An, une succession de signes – de présages, d’avertissements – indiquèrent que tout n’allait pas pour le mieux.
À Quillan, un petit ramoneur se cassa le cou en tombant. À Espéraza, un incendie dans une fabrique de chapeaux tua quatre ouvrières espagnoles. Dans l’atelier de la famille Bousquet, un apprenti se prit la main droite dans une presse typographique en métal brûlant et perdit quatre doigts.
Léonie fut elle-même affectée par ce sentiment de malaise général lorsque M. Baillard lui annonça qu’il devait quitter Rennes-les-Bains. C’était l’époque des foires d’hiver – Brenac le 19 janvier, Campagne-sur-Aude le 20 et Belvianes le 22. Il devait visiter ces villages avant de se rendre dans la montagne. L’air préoccupé, il lui expliqua que ses devoirs, plus anciens et plus contraignants que son rôle officieux de tuteur de Louis-Anatole, ne sauraient être négligés plus longtemps. Léonie regretta sa décision mais elle savait qu’il était inutile de l’interroger. Il lui donna sa parole qu’il serait de retour pour la Saint-Martin en novembre, au moment de la collecte des loyers.
Elle s’affligeait d’une aussi longue absence, mais elle savait depuis longtemps que M. Baillard ne se laissait jamais fléchir dès lors qu’il avait pris une décision.
Son départ imminent – et sans explications – fit comprendre à Léonie qu’elle connaissait bien peu son ami et protecteur. Elle ignorait même son âge : selon Louis-Anatole, il devait avoir au moins sept cents ans pour avoir autant d’histoires à raconter.
Quelques jours à peine après le départ de Baillard, un scandale éclata à Rennes le Château. L’abbé Saunière avait pratiquement terminé la restauration de son église. Dans les premiers mois glaciaux de 1897, les statues commandées à un atelier de Toulouse furent livrées. Parmi celles-ci se trouvait un bénitier reposant sur les épaules d’un démon grimaçant. Des voix s’élevèrent pour objecter que cette statue ainsi que d’autres n’avaient pas leur place dans un lieu de culte. Des lettres de protestation, dont certaines étaient anonymes, furent envoyées à la mairie et à l’évêché pour exiger que Saunière rende des comptes, mais aussi pour qu’on lui interdise de pratiquer des fouilles dans le cimetière.
Jusque-là, Léonie avait ignoré les rumeurs selon lesquelles Saunière creusait de nuit autour de l’église, et arpentait les montagnes du crépuscule à l’aube à la recherche d’un trésor. Elle se tint à l’écart de la controverse, et ne joignit pas sa voix à la marée montante des doléances contre un prêtre qu’elle croyait dévoué à sa paroisse. Mais la ressemblance entre les statues commandées par Saunière et celles du sépulcre la troublait. C’était comme si quelqu’un guidait la main de l’abbé Saunière, tout en complotant contre lui derrière son
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