Sépulcre
ne souhaitait pas la laisser seule pendant aussi longtemps, malgré sa confiance en Marieta.
— Je vous en prie, Isolde, dit-elle en lui caressant la main. Cela vous ferait du bien de voyager. De sentir le soleil sur votre visage. (Elle lui pressa les doigts.) Cela me ferait tellement plaisir. Et ce serait le plus beau cadeau d’anniversaire que vous puissiez offrir à Louis-Anatole. Accompagnez-nous, je vous en prie.
Isolde la regarda de ses profonds yeux gris, qui semblaient receler une grande sagesse et pourtant ne rien voir.
— Si vous voulez, dit-elle de sa voix argentine. Je viendrai.
Léonie en fut tellement stupéfaite qu’elle fit sursauter Isolde en la serrant dans ses bras. Ce faisant, elle sentit combien sa tante était maigre sous ses vêtements et son corset. Mais peu importait. Elle ne s’était pas attendue à ce qu’Isolde acquiesçât et elle en était ravie. C’était peut-être le signe qu’elle était enfin prête à aller de l’avant. Elle pourrait alors apprendre à connaître son magnifique petit garçon.
Le petit groupe prit le train pour Carcassonne.
Marieta veillait sur sa maîtresse. Pascal était chargé de distraire Louis-Anatole grâce aux récits des exploits militaires des Français au Dahomey et en Côte d’ivoire. Pascal parlait avec une telle passion des déserts, des chutes rugissantes et d’un monde perdu caché dans les hauts plateaux que Léonie le soupçonna d’emprunter ses descriptions aux romans de Jules Verne plutôt qu’aux journaux. Louis-Anatole, pour sa part, régalait Pascal des histoires de M. Baillard sur les chevaliers médiévaux. Tous deux furent donc très satisfaits de leur trajet peuplé de sanglants récits.
Ils arrivèrent le 14 juillet à l’heure du déjeuner et prirent des chambres dans une pension de la Bastide basse, tout près de la cathédrale Saint-Michel et très loin de l’hôtel où Isolde, Léonie et Anatole étaient descendus six ans auparavant. Léonie passa l’après-midi à visiter la ville avec son neveu qui écarquillait les yeux et à qui elle permit de manger bien trop de crème glacée.
Ils regagnèrent leurs chambres à 17 heures pour se reposer. Léonie trouva Isolde allongée sur un canapé près de la fenêtre, à contempler les jardins du boulevard Barbès. Le cœur serré, elle comprit aussitôt que sa tante n’avait pas l’intention d’assister avec eux aux feux d’artifice.
Léonie se tut dans l’espoir d’être détrompée, mais lorsque le moment vint de sortir pour assister au spectacle, Isolde déclara qu’elle se sentait incapable d’affronter les foules. Louis-Anatole n’en fut pas déçu car, à dire la vérité, il ne s’était pas attendu à ce que sa mère les accompagnât. Mais Léonie, qui s’énervait pourtant rarement, éprouva un pincement irrité à l’idée qu’Isolde fut incapable de faire un effort pour son fils, rien qu’une fois.
Laissant Marieta veiller sur sa maîtresse, Léonie et Louis-Anatole sortirent avec Pascal. Le spectacle était offert par un industriel local, M. Sabatier, inventeur de l’apéritif Or-Kina et de la liqueur Micheline, surnommée « la reine des liqueurs ». Il s’agissait d’une première expérience, mais si elle était couronnée de succès, le spectacle serait redonné, à plus grande échelle, l’année suivante. Sabatier était présent partout, dans les prospectus que Louis-Anatole collectionnait comme souvenirs de leur expédition, et sur les murs criblés d’affiches.
À la tombée du jour, les foules se massèrent sur la rive droite de l’Aude, dans le quartier de la Trivalle, pour contempler les remparts restaurés de la cité. Enfants, jardiniers et bonnes des grandes maisons, vendeuses de magasins et cireurs de chaussures pullulaient autour de l’église Saint-Gimer, où Léonie s’était jadis abritée avec Victor Constant. Elle repoussa ce souvenir.
Sur la rive gauche, les badauds s’étaient regroupés devant l’hôpital des Malades, pour s’agripper ou se percher partout où l’on avait prise. Des enfants s’étaient juchés sur le mur adjacent à la chapelle Saint-Vincent-de-Paul. À la Bastide, on se rassemblait autour de la porte des Jacobins et sur les berges. Personne ne savait à quoi s’attendre au juste.
— Et hop, pichon ! dit Pascal en hissant le garçonnet sur ses épaules.
Léonie, Pascal et Louis-Anatole s’installèrent sur le Pont-Vieux, en se faufilant sur l’un des « becs »
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